Max de Reggi

Parler des femmes, quelle prétention ! Analyser la structure et la dynamique de l’univers serait plus simple, mais infiniment moins exaltant. Je vais donc simplement vous parler de quelques représentantes de la galaxie féminine. Ces filles, ces femmes sont-elles réelles ? Oui, elles existent, dans ma mémoire ou mon imagination, quelle différence ?

Pourtant, qui mieux qu’un Italien pour parler de femmes : Considerare ognuno di questi ritrati come la tessera di un mosaico, sin da formare una sorte di tentative di penetrazione nel universe delle donne. [Considérer chacun de ces portraits comme une tesselle de mosaïque, jusqu’à former une tentative de pénétration de l’univers des femmes]. (Andrea Camilleri, Donne, chez Rizzoli ; Femmes, chez Fayard)

L’ORIGINE DU MONDE

Courbet a peint l’origine du monde, en fait l’orifice par lequel nous avons tous émergés à la lumière. C’est comme peindre le rocher d’où jaillit une source. Une source, c’est aussi une naissance, un mystère, un miracle. Ce rocher qui donne la vie – pour une grande partie de l’humanité c’est la vie au sens propre – est fascinant, comme est fascinant le sexe qui enfante. D’où vient cette eau, d’où vient cet enfant ?

Si la mer – la mère – est le liquide amniotique de la planète (1), collines et montagnes sont l’utérus. Tout commence par une multitude de ruissellements qui pénètrent la terre, la fécondent, puis suit un long et mystérieux parcours dont on ne connait souvent qu’une partie. Nous savons bien que ce qui s’y passe est extraordinaire, cascades, grottes, gigantesques et ornées de splendides concrétions, ou modestes, et aussi longs, étroits et tortueux passages où l’eau chemine patiemment, obstinément (2), pour enfin jaillir à l’air libre. Jamais on ne pourra tout explorer ni connaître tout à fait, si bien que ce jaillissement restera toujours un mystérieux et fascinant spectacle. Il peut attirer les foules par sa magnificence, comme la Fontaine de Vaucluse, ou même par sa simplicité, sa modestie, comme la source de la Loire au Mont Gerbier de Jonc. Ces collines, ces montagnes elles-mêmes sont nées de lointains et titanesques soubresauts de l’écorce terrestre. Beaucoup ont d’abord été une mer où ont vécu des milliards de milliards d’animaux minuscules dont les restes se sont accumulé des millions d’années durant au point de former de monumentales falaises. D’autres ont surgi comme des diables monstrueux, portant haut les entrailles de la terre.

Cet enfant qui nait, nous savons bien comment il s’est formé. Tout commence par une myriade de spermatozoïdes qui pénètre les entrailles de la future mère et la féconde. Nous savons bien quel long et complexe processus s’ensuivra. La genèse d’un petit être été explorée de toutes les façons, au moyen des techniques les plus sophistiquées. Le savoir accumulé emplit des bibliothèques entières. Nous savons tellement de choses, en fait si peu. Les scientifiques spécialisés ne peuvent que s’incliner devant cette merveille, ce miracle qu’est toujours une naissance.
Derrière la mère qui met au monde un enfant, il y a une autre mère, et avant elle une autre, et une autre encore, des dizaines de milliers de femmes qui, avant d’être mères, étaient amantes. L’énergie qui pousse une femme vers l’homme qu’elle a dans la peau – expression aussi forte que la chose qu’elle décrit – est tellurique. L’irrépressible besoin d’une femme de plaire comme si sa vie en dépendait, ce qu’elle déploie d’héroïsme, de courage, d’abnégation, mais aussi de rouerie, de bassesse, de compromission (3), sa patience, sa résistance (4), sa détermination à mettre au monde un enfant et en faire un être humain, quoi qu’il puisse lui en coûter – quelle mère ne se laisserait pas couper en morceaux pour défendre son enfant – voilà ce qui a fait l’espèce humaine, voilà pourquoi nous sommes sur terre.

Plus encore, si chacun des parents transmet ses gènes à l’enfant, la mère va au-delà. C’est bien elle, et elle seule, qui lui donne cette extraordinaire machinerie, héritée de mère en fille, la mitochondrie, qui va permettre au nouveau-né de respirer, produire de la chaleur et de l’énergie dont il se servira pour se développer et mener sa vie de femme et d’homme.
En allant encore plus loin, on peut dire qu’un homme est une femme avortée. L’appareil sexuel du fœtus mâle est d’abord féminin puis il dégénère partiellement et se réorganise intérieurement et extérieurement en structures masculines. Par exemple, les lèvres féminines se soudent pour former les bourses – la soudure reste bien visible – que les testicules coloniseront plus tard.

  1. Hervé Bazin, Abécédaire, Grasset.
  2. « Têtue comme une eau souterraine », Augustin Gomez-Arcos, Ana Non, Stock.
  3. « Il n’y a pas de bassesse au monde à laquelle il ne m’eût amenée à consentir », Stefan Zweig, Vierundzwanzig Studen aus dem Leben einer Frau (Vingt-quatre heures de la vie d’une femme), Insel Verlag; Leipzig.
  4. « [Une femme] c’est une bête si solide, si dure à tuer ! », Colette, La Vagabonde.

PS. Nous connaissons bien mal Gustave Courbet. Michel Ragon nous le décrit ainsi:

Il ressemblait à un dieu assyrien. Un nez fort, des yeux noirs sombres de félin, une chevelure abondante, une barbe noire bouclée, c’était un colosse, de haute stature et une sûreté de soi inébranlable. [] Il raflait au passage des chopes de bière, …, embrassait les jolies filles dans le cou, leur glissait à l’oreille un poissonnerie qui les faisait glousser.. Michel Ragon, Un si bel espoir.

Illustration: Voici ce que devait être Zenoubia, la reine de Palmyre ; musée de Palmyre (photo de l’auteur)