Il était une fois, je vous parle de ça il y a longtemps (unité de temps), à la Faculté des Sciences de Lyon (unité de lieu) nous étudiions la Zoologie Expérimentale (unité d’action).

Compléments de lieu : notre faculté consistait en de vénérables bâtiments, ceints d’une majestueuse grille entourant un petit square où trônait la statue d’un bien entendu vénérable personnage dont, bien entendu, j’ai oublié et le nom et les traits, le tout sur les quais du Rhône, à l’époque paisibles et ombragés

Compléments d’action : la « Zoologie Expérimentale », appellation devenue ridiculement vieillotte, recouvrait à l’époque une discipline « de pointe ». C’était le temps où on travaillait assidûment, mais sans fièvre, sur de grandes tables de bois. Aie ! dangereux le bois. Il absorbe les produits plus ou moins dangereux, plus ou moins malencontreusement renversés et, surtout, il est inflammable. Il a été par la suite recouvert de carreaux de faïence. Aie ! dangereux les carreaux de faïence. Le ciment des joints absorbe les produits plus ou moins, etc… Tout cela fut par la suite remplacé par de grandes plaques de verre du plus bel effet. Mais alors finies les unités de temps et de lieu, nous étions à l’Université de Lyon-I nouvellement créée, campus de la Doua, à l’emplacement de l’hippodrome, le long du Boulevard de l’Hippodrome, devenu Boulevard du 11-novembre-1918 puisque d’hippodrome il n’y avait plus. Encore plus tard ce sera Grenoble puis Marseille. Seule restait l’unité d’action : recherche scientifique.

Revenons au bord du Rhône. Les cours se tenaient dans de petites salles en gradins, amphithéâtres miniatures. Nous étions quasiment en famille, belle époque disparue pour faire place à d’immenses amphis où les étudiants sont face à d’immenses écrans. Les profs sont devenus aussi rares dans les amphis que les curés dans les églises. C’est à cette époque, si lointaine, qu’aux Etats-Unis, l’équipe de Morgan travaillant sur la mouche du vinaigre – quoiqu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre – avait découvert les gènes, ces structures assemblées dans l’ADN, qui déterminent ce que nous sommes et ce que sera notre descendance. Quand je dis déterminent, il faut relativiser, ce que je ferai, abondamment, par la suite (1).  Cet ADN, on peut le voir sous forme de chromosomes au moment où les cellules se divisent, avant de disparaitre des microscopes, y compris des plus puissants microscopes électroniques. Donc, encore une fois c’est à peine si j’ose le dire, à l’époque on ne savait pas ce que devient l’ADN dans les cellules quiescentes, autrement dit non en phase de division.

Il faut dire qu’une molécule d’ADN est un ruban extrêmement fin et extrêmement long, près de deux mètres. Pour apprécier ces deux mètres il faut rappeler qu’ils se logent dans un noyau invisible à l’œil nu, vingt micromètres de diamètre, soit un million de fois plus petit. Lorsque la cellule se divise, le ruban est compacté un très grand nombre de fois pour apparaître sous nos yeux émerveillés (équipés d’un microscope) en formant des chromosomes. Ce compactage est un truc très astucieux. Imaginez une ficelle de deux mètres, entortillée dans une bille invisible à l’œil nu, que vous devez couper en deux dans le sens de la longueur pour séparer ensuite les deux parties. La cellule a les outils pour faire la découpe, mais il lui serait impossible de démêler les produits formés. On compacte donc pour que tout soit gérable. Il faut dire que la biologie obéit aux lois de la mécanique. C’est une dimension quelque peu négligée jusqu’ici et qui tend à prendre l’importance qu’elle mérite. On ne peut prétendre être biologiste sans prendre conscience des dimensions de l’objet matériel que nous sommes. Notre organisme comprend dix mille milliards de cellules (2), chacune d’elle contenant environ quarante molécules d’ADN. Ainsi, mises bout à bout les molécules d’ADN que chacun de nous héberge formeraient une chaîne de près de mille milliards de km.  De plus, les cellules sont soumises à des forces internes, externes, elles se bousculent les unes les autres pour se mettre en place. Dans l’embryon, les flux de liquides et les pressions sont déterminants pour la construction de l’organisme, en particulier pour l’établissement de la symétrie gauche-droite. Les forces viscoélastiques qui s’exercent sur les cellules du sang ou des poumons déterminent l’efficacité du système immunitaire, etc…

Je parle ici de la mécanique classique, mais ce n’est pas tout.  La biologie obéit aussi à la mécanique quantique, ce qui est une autre histoire, dont je parlerai ailleurs.

 

  1. Voir l’histoire de Lyssenko.
  2. Sans parler des cent mille milliards de bactéries que nous hébergeons dans notre colon, mais leur ADN est structuré différemment.

(A suivre)

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