On voit des mères tuer leur enfant à sa naissance, ou peu après, sans qu’elles puissent s’en expliquer clairement. C’est un comportement qui relève de l’animal. Ceux qui pratiquent l’élevage de chiens, chats ou lapins savent qu’une femelle conserve rarement l’ensemble de sa portée. Les raisons qui l’amènent à sacrifier un ou plusieurs nouveau-nés sont variables, soit elle se sent dans l’incapacité de tous les nourrir, soit certains sont trop faibles et non viables, ou encore ne se sent-elle pas en sécurité, ni pour elle ni pour ses petits, ou pour bien d’autres raisons encore. Le plus souvent une femelle dévore quelques-uns de ses petits pour se donner la force de nourrir les autres.

On retrouve des aspects de ce comportement animal chez des mères. Certaines ont pu être poussées par la misère, donc se trouver elles aussi dans l’incapacité de nourrir leurs enfants ; ou bien, se sont-elles défaites tout simplement de ce qui est venu de façon tout à fait inopportune. Cela se passait couramment dans les campagnes sans que personne ne s’en émeuve outre mesure. Colette parle d’une vachère qui a donné son nouveau-né à manger aux cochons (1) – à la campagne rien ne se perd, horrible ! On l’admettait, sans le dire, comme une forme de régulation des naissances. Les bébés en congélateur sont la glaçante (sans jeu de mot) version moderne et urbaine de ce comportement.

Une mère qui donne la vie peut être amenée à la retirer, dans un schéma du type « j’efface et je recommence ». Ces meurtres d’enfants ne sont généralement pas élucidés, la responsabilité de la mère étant impensable, absolument inimaginable pour les enquêteurs (hommes) donc n’est pas prise en compte dans l’enquête. Seule une femme peut envisager cette terrible possibilité. Cela s’est produit il y a quelques années en Italie, où la mère d’un petit garçon assassiné dans des circonstances terribles et mystérieuses a été reconnue coupable et condamnée ; le crime relevait de la compétence d’une procureure. Dans cette affaire un mot de la mère avait marqué les esprits : au moment de l’emmener, les policiers l’ont entendu dire à son mari « Nous en ferons un autre ».

Que dire, si ce n’est qu’une mère coupable de pareil crime doit être jugée, bien sûr, mais relève-t-elle réellement de notre justice ? Les croyants peuvent penser qu’elle relève de la justice divine, les autres se sentir incapables de porter un jugement sur ce qui se passe dans les tripes, donc dans la tête d’une mère, aussi terrible que cela puisse paraître.

On voit aussi, hélas, des mères tuer méthodiquement leur enfant. Avec les « réseaux sociaux » de nouvelles formes d’infanticide sont apparues. On a vu par exemple une jeune femme rendre son enfant gravement malade, lentement, scientifiquement, jusqu’à ce qu’il en décède. Pour quelle raison : attirer l’attention sur elle. Internet est la meilleure est la pire des choses, dirait Esope s’il revenait parmi nous. Il y a aussi le cas extrême de cette mère qui a tué sa fille âgée d’une vingtaine d’années. Celle-ci aurait pu se défendre, naturellement, mais elle a préféré mourir plutôt que d’être privée de l’affection de sa mère.

Dans le domaine de l’infanticide, le comble de l’horreur est atteint avec la « petite fille de l’A10 ». Je l’évoque sommairement car entrer dans le détail serait insupportable. Le 11 août 1987, des agents d’entretien de l’autoroute A10, à hauteur d’une petite commune du Loir-et-Cher découvrent sur les bas-côtés une couverture repliée.  A l’intérieur, l’horreur. Une petite fille martyrisée à un point inimaginable. Les ouvriers pensent d’abord à l’attaque d’une bête sauvage. Me revient en mémoire l’aviateur Henri Guillaumet qui a marché dans la neige et le froid pendant cinq jours et quatre nuits, sans le moindre repos, à la suite de son accident dans les Andes. « Ce que j’ai fait, jamais aucune bête ne l’aurait fait » avait-il déclaré. Ce qui, hélas, été fait à cette petite, jamais aucune bête fauve ne l’aurait fait. En réalité, la bête qui l’avait martyrisée de cette façon était la pire de toutes : sa mère. Celle-ci n’a été reconnue que trente ans plus ans dans des circonstances fortuites, l’arrestation d’un petit loubard qui s’est avéré être le frère de la malheureuse.

Une autre dramatique affaire se déroule en Australie. Une femme a été condamnée à QUARANTE ans de prison pour le meurtre de ses quatre enfants, décédés les uns après les autres en bas âge. Cette femme, Kathleen Folbigg, a été jugée coupable en dépit de ses dénégations et bien que les examens médico-légaux n’aient rien révélé d’anormal. Elle a été également jugée par la vox populi comme la pire serial killer d’Australie.  Un pédiatre britannique, Roy Meadow a joué un rôle important dans cette accusation avec une argumentation pour le moins fallacieuse : « un décès d’enfant est une tragédie, deux sont suspects et trois sont crimes ».

La mort subite d’un jeune enfant serait-elle un événement aléatoire ? Peut-on condamner sur une base statistique ? Non, certainement pas. Une américaine, Sally Clark, d’abord condamnée pour infanticide a été ensuite acquittée en vertu de cet argumentaire (2). Peut-on condamner en écartant délibérément l’éventualité de morts subites naturelles, alors que l’on ignore quelles en sont les causes ? Les enfants victimes paraissent en parfaite santé. C’est sans doute pour cette raison que, bizarrement, la question n’a jamais été approfondie.

Si la physiologie ne peut pas être incriminée, alors la cause de ces décès doit être recherchée ailleurs, en premier lieu sur le plan génétique, avec la difficulté qu’un cas isolé est difficilement exploitable de ce point de vue. Pourtant, une anomalie génétique pourrait être recherchée dans une famille concernée, en la comparant à d’autres qui n’ont pas connu ce drame.

Dans cette optique, le cas de Kathleen Folbigg constitue un exemple favorable. De fait, en 2018 des scientifiques ont établi dans cette famille la présence d’une mutation pouvant conduire à une arythmie cardiaque. La mutation porte sur le gène CALM, pour calmoduline, une protéine qui contrôle l’entrée du calcium dans la cellule, processus déterminant pour des cellules contractiles, dont les cellules cardiaques.

Mais la question n’est pas résolue pour autant. Peut-on établir une relation de cause à effet entre la présence de cette mutation et le décès des enfants ? La réponse n’est pas immédiate et plusieurs objections ont été soulevées. Il s’agit d’une mutation est très rare et, de plus, la mère en est porteuse sans en être affectée. Objections non scientifiquement recevables car cette mutation est peu répandue pour la bonne raison – si je puis dire – qu’elle entraine la mortalité des porteurs dès le plus jeune âge. De plus, il y a plusieurs gènes CALM dont les différentes fonctions ne sont pas clairement établies, situation rendue encore plus complexe par le fait qu’il même personne peut porter une mosaïque de ces gènes.

Les langages scientifique et juridique sont peu compatibles. Comment faire comprendre tous ces éléments à un juge ? Quoi qu’il en soit, la malheureuse Madame Folbigg a permis, bien malgré elle, une avancée décisive dans la compréhension de la mort subite des nourrissons. Peut-être ces mutations pourront-elles à l’avenir faire l’objet d’un dépistage systématique ?

L’affaire est actuellement en cours de jugement en vue d’une éventuelle révision (novembre 2022). Cette femme sur laquelle se sont abattus tous les malheurs du monde, voir ses quatre enfants disparaitre puis, en guise de consolation, être enfermée à vie couverte d’opprobre, va-t-elle être au moins libérée, si ce n’est innocentée ?

 

 

 

 

  1. Claudine à l’école.
  2. Roy Meadow a été depuis sanctionné par sa profession.
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