Qu’est le machisme si ce n’est un trompe-l’œil ? Se montrer, s’afficher, ce n’est pas signe de supériorité, nous dit Lady Mary Montagu (1). Du taureau qui combat dans l’arène on ne voit que la puissante musculature, héritée de son père ; ce n’est pourtant que poudre aux yeux. Les aficionados ne se déplaceraient pas pour un gros nounours. Ils viennent voir un animal hargneux, agressif, combattant, qui se jette avec rage sur le toréro et sa muleta jusqu’à ses dernières forces. Ces qualités, qui font tout « l’intérêt » de la corrida, la bête les tient de sa mère, soigneusement sélectionnée dans ce but. Une vachette pourrait tout aussi bien encorner l’individu qui s’aviserait de lui infliger pareille torture, en étant peut-être même plus dangereuse parce que plus mobile, mais l’apparence n’y serait pas.

Changeons de décor. Edgar Degas a peint  des jeunes filles défiant à la lutte des garçons, tout ce monde étant nu, même si le peintre a cru devoir affubler les filles d’un pagne anachronique, ridicule puisque la partie la plus saillante d’une femme n’est tout de même pas la partie basse (cet accessoire ne figure d’ailleurs pas dans les esquisses préparatoires au tableau). De telles scènes se passaient à Sparte, à une époque et dans une région où tous les athlètes étaient nus. Rien de grivois là-dedans, le corps humain étant considéré pour ce qu’il est, un chef-d’œuvre d’harmonie que le sport met merveilleusement en valeur. Il faut dire aussi que les vêtements de l’époque se prêtant très mal à l’exercice, mieux valait s’en défaire purement et simplement.

Rien à redire donc, des jeunes filles défient leurs collègues garçons, pratique toujours en vigueur, dans des conditions quelquefois hélas dramatiques pour elles. Mais voyons cette scène au travers d’un cerveau masculin . Parlant des jeunes filles spartes, Monsieur Maurice Sartre (2) nous dit que « cette éducation physique ne visait à rien d’autre qu’à améliorer la fécondité et à faciliter l’accouchement » ; « Y voir un signe de libération serait une grave erreur » ajoutait-il. Parlant de leurs homologues mâles, ce monsieur devrait donc dire que l’éducation physique ne visait à rien d’autre qu’à améliorer leur aptitude à la guerre (puisque les unes étaient destinées à l’accouchement et les autres à la guerre) et, toujours concernant les garçons, il devrait aussi mentionner que « Y voir un signe de libération serait une grave erreur ». Puisqu’il ne le précise pas, on en déduit que dans l‘esprit de ce docte analyste – il est loin d’être le seul – les hommes sont par essence « libérés » et non pas les femmes. Mais de quoi diable doivent se « libérer » les femmes ? Réponse : d’une mentalité bien ancrée et extrêmement répandue, comme le rappelle le même Maurice Sartre, parlant du « mythe fondateur de la race des femmes » par Hésiode, où se greffent « les histoires […] qui visent toutes le même objectif : légitimer l’infériorité de leur statut ». CQFD. Les femmes elles-mêmes participent à l’entretien de ce statut, tout en voulant le combattre, comme l’affiche le Mouvement de « Libération » de la Femme, bien mal nommé. Pourtant, en voulant réduire les femmes, les hommes se réduisent eux-mêmes, comme le dit encore si bien Lady Montagu : « La clôture [des femmes] a été infligée par les hommes, et ceux-ci restent dépossédés d’une partie d’eux-mêmes (3). On ne peut mieux dire.

  1. Lady Mary Montagu, L’Islam au péril des femmes. Une Anglaise en Turquie au XVIIIe siècle. La Découverte
  2. Maurice Sartre. Qui a peur des Athéniennes ? In : Quand les femmes prennent le pouvoir. Les Collections de l’Histoire, janvier-mars 2007.
  3. ib.