La chatte,

ou la leçon de séduction

Si muoveva come una gatta e della gatta aveva i riflessi prontissimi e la variabilità d’umore.

Elle se déplaçait comme chatte et d’une chatte avait les réflexes prompts et l’humeur imprévisible (1)

J’avais effectué un séjour de recherche à l’Institut des Sciences et Technologies de Lille et j’en avais profité pour rendre visite à une scientifique de mes amis, marseillaise exilée chez les Ch’tis. Aimée était littéralement une géante, un corps bien proportionné mais surdimensionné, quelques tailles au-dessus de la normale, avec une magnifique, puissante chevelure châtaigne qui lui dégringolait sur les reins en volutes épaisses. Elle m’aurait facilement mise sous son (grand) bras. Elle avait d’ailleurs été tentée de le faire, à ma surprise et à mon désarroi, car elle était liée de longue date à un ami que je tenais en grande estime. J’appris plus tard qu’ils s’étaient séparés.

Quand j’arrivais chez elle, un collègue lui tenait compagnie, ou plus exactement faisait de gros efforts pour tenter de la séduire. Il étalait ses plumes de paon, des plumes en vérité assez ternes, sans beaucoup de succès, car pour arriver à la belle il fallait d’abord plaire à sa chatte, condition sine qua non clairement explicitée. Aimée ne pouvait imaginer vivre dans une atmosphère délétère pour son animal. Aussi le malheureux faisait-il des efforts désespérés pour approcher la bête, laquelle, comme de bien entendu, connaissait sur le bout des griffes le jeu de la chatte et de la souris. Elle s’approchait de lui, l’air indifférent pour, lorsqu’il était près de la toucher, s’échapper d’un bond. Au moment où il crut la saisir, elle poussa un de ces cris fulgurants de félins qui vous font froid dans le dos et qui, en l’occurrence, vous condamnent irrémédiablement aux yeux de la maîtresse.

Je décidai alors de donner une leçon à ce lourdaud. D’une femme à une chatte, le chemin de la séduction est le même, en plus simple heureusement, une chatte n’ayant évidemment pas toutes les ressources d’une femme. Elle ne peut pas s’approcher de vous en faisant mine de téléphoner ou de fouiller son sac, vous bousculer en s’excusant de ne pas vous avoir vu et en profiter pour vous jeter un coup d’œil de près, regarder fixement ailleurs, sachant que vous allez passer immanquablement dans son champ de vision. Néanmoins, chatte ou pas, la stratégie du séducteur est toujours la même, lui laisser croire qu’elle est maîtresse de la situation, qu’il lui appartient à elle seule de choisir et de décider, alors qu’en réalité elle est prisonnière d’un besoin impérieux de tendresse et de caresses.

Donc, premier principe, ne pas la regarder, jouer l’indifférence totale, tendre une discrète amorce et laisser venir. Assis dans un fauteuil, je laissai négligemment pendre un bras. La chatte, mue par une irrésistible curiosité – oserais-je dire féminine ? – voulut naturellement reconnaître l’intrus que j’étais. Après une approche circonspecte, elle vint renifler longuement ma main. A ce stade il y a toujours une phase d’évaluation, à laquelle il faut se soumettre. Ne rien faire surtout, attendre le verdict. L’examen fut satisfaisant, et la chatte s’abandonna à mes caresses. Elle  se tourna et retourna sous ma main pour mieux la sentir glisser sur son dos, ronronna avec volupté, à la consternation du candidat séducteur ; j’avais réussi en deux minutes là où il échouait, sans doute depuis longtemps.

La chatte séduite, la maîtresse de maison l’était aussi, mais je ne le réalisai pas à temps. Le malheureux séducteur parti, penaud, Aimée m’avait accompagné en ville, je ne sais sous quel prétexte. Je devais ensuite dîner au restaurant avant de rejoindre mon hôtel. J’aurais pu, j’aurais dû l’inviter, ne serait-ce que par politesse, alors que je la laissai rentrer seule chez elle.

Ce fut, je crois, ce que certains appellent un acte manqué.

J’imagine, au restaurant, cette grande main posée sur la table, près de la mienne et je frissonne – de crainte ? S’approcher de l’autre pour s’accoupler est, dans tout le règne animal, y compris chez nous, un acte qui n’est jamais dépourvu de risque. L’image de la mante religieuse mâchonnant la tête de son mâle lequel, l’imbécile, persiste à la féconder, est gravée dans l’inconscient masculin. Qui n’a pas introduit sans quelque appréhension la partie la plus sensible de son corps dans une paire de cisailles, mue par de puissants muscles masticateurs ? Une amie, bien élevée, qui ne parlait jamais la bouche pleine, s’était un jour dégagée pour me parler de cette jalouse qui avait coupée d’un coup de dents le sexe de son amant. Pourquoi me racontait-elle cette histoire-là, précisément à ce moment-là ? Brrrr… Que dire lorsque la mâchoire est d’une taille démesurée ?

Je ne sais plus quel « chercheur » avait conclu, au terme d’une docte enquête « scientifique » que le désir de la femelle n’est pas nécessaire à la survie de l’espèce. Stupide ! Cet individu est manifestement prêt à investir le premier trou qui passe à sa portée, oui mais encore faut-il que cela soit. Le coq au milieu de ses poules, le taureau au milieu du troupeau semblent sauter sur n’importe laquelle des femelles quand ça lui chante. Faux ! Rien n’est possible si elle n’est pas consentante. Prenons un cas extrême. Le poisson n’a pas d’organe copulateur ; la femelle libère ses œufs quand le mâle danse autour d’elle, pas n’importe quel mâle, celui qu’elle a choisi, et pas n’importe quelle danse. Elle projette ses œufs frénétiquement, dans ce qui est certainement une forme d’extase, autrement dit d’orgasme. Elle est tout sauf passive. Supprimez le désir de dame poisson, vous supprimeriez la population poissonnesque – et ce n’est qu’un exemple.

A l’hôtel j’ai pourtant regretté amèrement mon manque de présence d’esprit. Les chambres étaient peu insonorisées, si bien que je n’ai rien perdu des activités du couple d’à côté. Je me revoyais avec mes amis dans notre chambre d’étudiants. De l’autre côté d’une mince cloison, un culturiste puissamment bâti faisait gémir une femme, jamais la même, chaque nuit. Un supplice pour mes malheureux compagnons, que j’entendais se tourner et retourner dans leur lit en laissant échapper de douloureux soupirs. Je devais probablement faire de même.

Chez mes voisins l’agitation prit fin brusquement et un rire éclata, se déroula, s’épanouissant en volutes graves, ce rire qui résonne au plus profond de la gorge d’une femme pleinement comblée, un rire qui dit tout le bonheur d’être vivant, bien dans sa chair apaisée. J’imaginais ce rire sortant des profondeurs de la puissante gorge d’Aimée – bien entendu si j’avais pu la satisfaire, mais de cela ne doutons pas !

Quel idiot j’ai été !

(1) Andrea Camilleri, Donne, Rizzoli (Milano) ; Femmes, Fayard.