Souvenir

J’ai le souvenir étrange et délicieux d’une nuit passée à caresser une jeune poitrine. Qui était-elle, pourquoi, comment était-elle venue dans mon lit, qu’est-elle devenue ensuite, je ne le sais pas. La colonie s’achevait. Les enfants étaient partis et avec eux tout ce que nous avions vécu pendant ces courtes semaines, joies, exaltations, fatigue aussi, découragement parfois et puis, surtout, de beaux moments de chaleur donnée et reçue. Les enfants venaient de ce qui ne s’appelait pas encore banlieue, de gros durs qu’un seul sourire désarmait. Après leur départ, nous les moniteurs étions des parents qui se retrouvent soudain seuls, dans une maison devenue trop grande et vide. Ce soir-là, nous avions dû probablement nous réunir autour d’un feu de camp pour être ensemble une dernière fois, tenter de faire revivre un instant ce qui dorénavant n’était plus que souvenirs.

Sans doute une jeune monitrice, ou une fille de la cuisine, est-elle venue s’asseoir près de moi et peut-être s’est-elle laissé aller sur mon épaule. Elle ne m’était certainement pas inconnue, mais sans doute ne l’ai-je pas seulement dévisagée dans la lueur des flammes, trouvant si naturel qu’une jeune fille veuille cueillir à mon contact un peu de chaleur humaine, pour s’ajouter à celle d’un feu déjà déclinant.

Je ne sais plus rien de tout cela, je ne sais pas son nom, je ne sais plus son visage. Ce que je sais, c’est qu’elle m’a suivi dans ma chambre, a quitté le haut, gardé sa jupe et s’est blottie dans mes bras. Une nuit de rêve, non pas de rêve éveillé, puisque je dormais, du moins de temps à autre. Je sentais son corps souple contre le mien et je caressais inlassablement sa douce poitrine. Jusqu’au matin.

Fillettes

Notre colonie était établie dans une ancienne propriété agricole. Le bâtiment de la ferme, une grande et belle bâtisse traditionnelle du Trièves, servait de réfectoire et de salle d’activité, tandis que les autres bâtiments, neufs, étaient répartis dans les anciens champs. Ainsi, pour prendre leur repas les enfants devaient-ils parcourir quelques deux ou trois cents mètres, ce qu’ils faisaient librement, sans ordre imposé. Lorsque je me mettais en chemin, des fillettes, qui guettaient ce moment, se précipitaient pour s’agglutiner à moi. Elles s’accrochaient par ordre de taille, les plus grandes près de l’épaule, les petites au bout des bras. J’étais ainsi écartelé par deux grappes de gamines dont le plus grand plaisir était de me désarticuler, me démanteler (1). Une photo avait été prise de ce spectacle charmant et affichée dans la salle de réunion. Je regrette amèrement de ne pas me l’être appropriée au terme du séjour.

Colette

Cette année-là, mon équipe était associée à celle de Colette.  Nous avions fait tant de belles choses, tant de ballades, de jeux, de chants, de veillées qu’il nous était impossible de ne pas prolonger ces moments forts après le départ des enfants. Nous avions anticipé et, avec quelques-uns, avions fait en sorte d’accéder à l’un des bâtiments après la fermeture de la colonie. Chaque dortoir avait une petite chambre pour le moniteur, où m’y étais réfugié, avec Colette. Le couchage avait été emporté, il ne restait que sommiers et matelas. Là encore, nous avions tout prévu ; nous avions un duvet, mais un seul duvet pour deux.

Le premier soir nous nous sommes déshabillés, chacun gardant un dernier vêtement, puis sommes entrés dans le duvet. Il était vraiment très étroit. Plaqués l’un contre l’autre, je demandai à Colette :

– Ne veux-tu pas te déshabiller complètement ?

– Oui, à une condition.

– Laquelle ?

– Que tu en fasses autant.

Ce qui fut fait, non sans mal, vu l’espace restreint. Notre plaisanterie favorite, d’avant la pilule, était : « Quel est le meilleur contraceptif ? Réponse : un cachet d’aspirine. Mode d’emploi : le placer entre les genoux et serrer très fort ». Je peux témoigner qu’un duvet étroit est lui aussi d’une redoutable efficacité. Je n’ignorais rien du corps de Colette, sans ne rien pouvoir faire, ni le caresser comme je l’aurais voulu, encore moins le voir. J’étais terriblement frustré. Un moment j’obtins que nous sortions de cette prison. A l’air libre, quelque chose a manifestement effrayé Colette, si bien qu’elle a très vite regagné notre cage.

Plus tard, elle m’écrira qu’elle était heureuse de retrouver son fiancé. Tout était bien qui finissait bien, donc.

Christine

S’appelait-elle Christine ? Peut-être. Elle était employée à la cuisine. Je dormais alors dans le dortoir des garçons de mon équipe, simplement séparé d’eux par un rideau. « Je viendrais te voir ce soir » m’avait dit Christine.

De fait, le soir elle vint s’allonger sur mon lit. Il était très étroit, je n’avais d’autre choix que m’allonger sur elle, ce qui n’était pas pour me déplaire et qu’elle accepta bien volontiers.  Bientôt j’eus la surprise de constater qu’à chacun de mes mouvements involontaires ses jambes s’écartaient, comme si je les repoussais délibérément. Elle fut bientôt proche du grand écart.

Me voici projeté entre les cuisses de cette fille ; c’était si soudain, si inattendu. J’étais décontenancé, mais comme représentant de l’espèce mâle, il me revenait d’agir. Pour commencer, glisser une main sous la jupe.

– C’est ce que tu veux maintenant ? Pas question ! me dit-elle d’un ton sévère.

Elle repoussa ma main, en même temps qu’elle l’appliquait fermement sur sa cuisse. Ce que toute fille doit dire en de pareils moments est destiné à sauver la face, ne pas décourager le garçon surtout. Seul un répit m’était accordé, qui ne pouvait pas décemment s’éterniser. Je repris donc ma marche en avant, sans rencontrer d’obstacle, cette fois. En caressant une chair ferme et douce, je me dirigeai résolument vers le but qui m’était assigné lorsque, au dernier moment, je buttais sur une main placée en coquille. A l’évidence, l’obstacle était encore une fois de pure forme. Il me revenait de le déplacer, ce que je tentais, d’abord sans grande conviction, puis plus vigoureusement, en vain, à ma grande surprise. Une fille à ce point offerte et pourtant inaccessible ! Le faible barrage n’endiguait pas son désir, je le sentais et devenais nerveux ; mes efforts se firent de plus en plus énergiques, mais rien ne bougea.

Voilà, j’avais tenu jusqu’au bout le rôle de mâle ; de son côté elle m’avait clairement signifié qu’elle n’irait pas plus loin, je pouvais sans déshonneur battre en retraite. C’est alors que la coquille disparut. J’avançai donc, pour rencontrer une culotte agréablement tendue sur un pubis arrondi et en effervescence. Je caressai un moment le tissu, puis l’écartai, et mes doigts se perdirent dans un dédale chaud et soyeux. C’était très agréable, mais j’hésitais à me laisser entraîner dans une aventure à ce point imprévue ; ce fut donc tout ce soir-là.

Le lendemain, comme je n’étais pas de garde dans le dortoir, Christine m’entraina sous « la tente ». Elle avait été plantée, un peu à l’écart dans la colonie, par un employé de l’intendance, bâti comme un taureau. Il y abritait ses amours avec une autre fille du personnel, très mignonne et très appétissante. J’aurais pu, moi aussi… mais ne nous égarons pas.

La tente était totalement vide, sans la moindre couverture ni matelas. Je m’allongeais sur le sol, Christine vint sur moi et m’emprisonna entre ses jambes. Ce contact me mit en émoi et je sentais mes réticences fondre, lorsque : « Tu m’as déçue, hier soir !». Je m’entendis répondre : « Toi aussi ».

Piquée, Christine est partie.

Fin de l’histoire.

Odette

J’ai oublié son nom ; elle aurait très bien pu s’appeler Odette.

Ma colonie achevée, j’avais rendu visite à un ami qui bouclait la sienne. Je trouvais le personnel d’encadrement occupé à nettoyer et ranger, avant la fermeture des bâtiments. Comme amusement, un fusil à lunette est apparu et nous avons essayé d’atteindre une boite de conserve placée à bonne distance, contre un talus. Personne n’y parvenait. Et pour cause, la lunette était mal réglée ; je voyais les tirs aboutir en bas et à gauche de la cible. Quand est venu mon tour, j’ai naturellement visé en haut et droite et la boite a sauté en l’air.

Une jeune personne a chaleureusement applaudi à mon « exploit ». C’était Odette, elle aussi employée de cuisine.

Odette avait la fâcheuse habitude de flanquer un furieux coup de poing dans la braguette de tous ceux qui passaient à sa portée. Un vrai coup de poing, douloureux.  Apparemment la pauvre n’avait trouvé d’autre moyen pour prendre contact avec ce qui devait l’intriguer si fort, cette chose mystérieuse enfermée dans le pantalon des garçons.

Le soir, assis autour d’un grand feu, dans une clairière, nous avons prolongé nos jeux, nos chants, nos histoires. J’ai senti un dos s’appuyer au mien, d’abord timidement, puis franchement. C’était Odette. Sur le chemin du retour, je l’ai prise par la main et entraînée à l’écart. J’ai défait son chemisier, caressé les seins, un peu déçu qu’ils ne soient pas plus fermes. J’ai baissé son pantalon, puis le bermuda qui était dessous. Il y avait encore une culotte ; je l’ai baissée à son tour. Pour dégager le tout, entassé sur les chevilles, il fallait défaire les lacets de ses chaussures. Elle m’arrêta :

– Non, ce n’est pas la peine.

Il fallait faire vite. Notre escapade n’était certainement pas passée inaperçue ; nul doute, nous étions attendus. Mais comment faire l’amour à une femme dont les jambes étaient ainsi entravées ? J’essayais malgré tout, lorsqu’une résistance anormale m’alerta. J’envoyai une main exploratrice.

– Aie, tu me fais mal.

Vierge, elle était vierge ! Allais-je lui faire découvrir l’amour dans ces conditions, par contorsions, à toute vitesse, comme un maraudeur ? Je lui demandai de se rhabiller et nous sommes rentrés, sous des regards réprobateurs, peu justifiés car en fin de compte je l’avais respecté, cette petite.

Le lendemain elle me demanda d’aller chercher son portefeuille qu’elle pensait avoir perdu près du feu. Il était bien là, en effet. Un portefeuille gonflé de la vie d’une petite fille devenue adolescente. Je l’ouvris, regardais sa carte d’identité : seize ans. En face était la photo d’un jeune garçon, bien mieux placé que moi pour lui apprendre ce qu’elle brûlait de connaître.

Maxymatose

Nous étions sur l’Ile de Ré. J’avais été promu, par le jeu des circonstances, directeur adjoint. Concrètement, je devais organiser les activités d’une équipe d’encadrement, en application des instructions reçues du directeur et de sa femme, puisque femme de directeur il y avait. Fait rare, les moniteurs dont j’avais la responsabilité étaient en fait, à une ou deux exceptions près, dont je n’ai gardé aucun souvenir, des monitrices.

Le couple directeur avait tendance à confondre colonie de vacances et camp militaire. Il restait enfermé toute la journée dans son bureau, où j’allais aux ordres. La pièce était sombre, l’accueil glacial, malgré la chaleur ambiante. Ces moralistes, qui confondaient laïcité et sectarisme, étaient en croisade contre tout ce qui fait le plaisir de l’été au bord de l’océan, pour eux autant de redoutables dangers. Ce n’est pas l’enfer que ces athées brandissaient sous nos yeux, mais l’accident ou la maladie. S’exposer au soleil était la mort assurée. Regardez, disaient-il d’un ton lugubre, les dégâts que font les UV sur votre peau, donc imaginez les ravages qu’ils provoquent à l’intérieur. Comment leur faire savoir que, si les rayons irritent de cette façon, c’est précisément parce que la peau les arrête. C’est lorsqu’il est arrêté qu’un rayonnement cède son énergie et peut entrainer des dommages. Autrement dit, les UV qui ne franchissent pas la peau peuvent provoquer des brûlures superficielles, mais rien à l’intérieur.

J’avais été prévenu dès le premier jour, aucune fantaisie ; application stricte du règlement et des consignes de sécurité. Les baignades, par exemple, au lieu d’être la partie de plaisir que tout le monde attendait, devenaient une corvée. Premier point, ne se baigner qu’à marée montante. Pas de chance, à ce moment-là le ciel se couvre. Deuxièmement, délimiter la zone de bain par une corde fixée à la plage et tenue aux autres coins par deux moniteurs immobiles. Surface de la baignade, environ vingt-cinq mètres carrés, profondeur moyenne cinquante centimètres. Tout à l’avenant. Je songeais avec nostalgie à mon séjour à La Capte. Avec quelques camarades nous allions pêcher les étoiles de mer. Comme elles se trouvent à quelques mètres sous la surface, dans une mer très peu profonde cela nous entraînait très loin. Nous étions seuls, sans surveillance ; sur la plage, les amateurs de soleil et nos moniteurs n’étaient que des fourmis. Il est vrai que la Méditerranée n’est pas l’océan.

Il y avait heureusement les congés, un jour par semaine, par roulement. Nous en profitions pleinement : (vraies) baignades, ballades en pédalo, sorties en haute mer avec les pêcheurs de homard, etc.

Vint la soirée traditionnelle de l’encadrement avant le départ. Il régnait une agitation un peu bizarre ; j’entendais des chuchotements, des ricanements étouffés. Je n’y prenais pas garde, jusqu’à ce qu’une monitrice ait pitié de moi et m’apprit qu’une terrible maladie sévissait dans la colonie, ceci depuis le début. Nulle n’avait pu en échapper, toutes en étaient atteintes. Le nom de cette redoutable maladie : la maxymatose.

C’était l’époque où un docteur Folamour avait voulu se débarrasser des lapins qui gambadaient dans son jardin et broutaient quelques salades, en important d’Australie une maladie foudroyante, la myxomatose En peu de temps, tous les lapins de France furent décimés. On pouvait voir dans les campagnes errer des lapins devenus aveugles, incapables de subvenir à leurs besoins et à la merci des prédateurs.

Je réalisais alors ce à quoi j’avais accordé bien peu d’attention, des remous dans les rangs à mon passage, des courses effrénées pour être à mon côté, des jupes qui remontent le plus naturellement du monde sur des cuisses avides des caresses du soleil, un tulle léger qui découvre inopinément un corps déjà gagné par le sommeil. J’étais bien trop occupé à transmettre les instructions peu enthousiasmantes de la direction pour penser à batifoler, ne pouvant imaginer que ces demoiselles rivalisaient d’efforts pour atteindre l’objet de leur convoitise, c’est-à-dire ma modeste personne.

Ainsi, une nouvelle maladie, terriblement contagieuse, pouvant même être mortelle, avait fait son apparition, dont j’étais bien malgré moi la cause. Il n’existe hélas que deux remèdes à pareil fléau. Le premier, très efficace, hélas franchement douloureux, est de s’éloigner de l’agent pathogène. Le second, agréable celui-là, bien que difficile d’application, veut au contraire qu’on l’affronte directement.

Apolline choisit cette deuxième solution. Au départ de la colonie, sur mon chemin de retour vers Grenoble, elle m’entraina jusqu’à Bordeaux pour me présenter sa grand’mère. Par malchance, à notre descente du train le dernier bus pour nous conduire auprès de cette brave dame était parti ; par chance, Apolline connaissait un très bon hôtel, pas trop cher.

Le réceptionniste du Lion d’Or nous conduisit gentiment à une chambre, sans un mot ; sans doute avait-il perçu l’émotion qui nous paralysait. Apolline entra dans la salle de bains et en sortit vêtue d’une légère chemise de nuit jaune, puis s’assit sur le bord du lit, intimidée. Je n’étais pas très fier non plus. Nous avons parlé de la seule chose qui nous unissait, la colonie, sur ce lit, en sous-vêtements, comme deux bons copains, ce que de fait nous étions. Notre embarras ne faisait que croître.

Je regardais cette fille, qui avait été une monitrice dont je devais rendre compte de l’activité et de l’aptitude à animer un groupe d’enfants. Maintenant j’allais lui faire l’amour, plus exactement j’allais devoir lui faire l’amour. Mais comment s’y prendre ? Cette fragile chemise de nuit me paraissait un solide rempart. En temps normal, lorsque deux personnes s’attirent, on en vient au fait de façon toute naturelle, deux mains qui se touchent et se retiennent, un baiser amical qui dérive sur le coin de la bouche, puis sur les lèvres, ou bien encore deux êtres qui tombent dans les bras l’un de l’autre, tout simplement. Rien de tout cela avec Apolline. Nus, ou presque, seuls dans une chambre sur un lit tout prêt à nous accueillir, nous n’étions pas préparés à cette éventualité, même si Apolline l’avait dûment préméditée. Il me fallait délibérément, de sang-froid, franchir cet océan qui va de l’ami à l’amant.

 Ce fut Apolline qui jeta la passerelle. Elle parla de son amie Stéphanie, puis : « Je crois qu’elle n’est plus vierge, puisqu’elle dit avoir été troublée par le toucher vaginal de son gynécologue, ce qui ne se pratique pas avec une vierge ». Dès lors je ne pouvais pas éluder une question si adroitement amenée :

– Et toi, es-tu vierge ?

– Oui.

Voilà, elle m’avait délicatement introduit dans son intimité. L’océan était devenu un ruisselet. Plus tard, elle laissera éclater sa fierté : « Si les copines me voyaient ! ».

    1. Démanteler, à l’origine ôter le manteau est, par extension, détruire ce qui se présente comme un ensemble organisé (Trésor de la Langue Française informatisé). Voir aussi la délicieuse Pathologie verbale de Emile Littré, Editions Manucius.
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