A ‘na finestra la luna s’è spuntata,
l’amore mio si specchia in quella,
la luna pallida s’è venuta e poi di cirri s’è vestuta.

A une croisée la lune s’est levée,
mon aimée dedans s’est mirée,
la lune pâle est venue et de cirrus s’est vêtue (1)

Je me promenais dans le soir calme et serein d’un pays du Levant. Ici, le matin on vaque à ses occupations puis, au plus chaud de la journée, on s’allonge sur un drap, notre linceul poméridien, d’où l’on ne ressuscite qu’à la tombée du soleil (2). Alors, on déguste un plateau de fruits, raisins craquants, figues de miel, petites poires d’une saveur incomparable, puis on sort. Une brise légère s’est levée, a chassé la chaleur accumulée dans la journée et nous apaise. Se mêler à la foule qui gonfle de minutes en minutes, flâner en ne pensant à rien si ce n’est qu’il faut bon vivre.  S’installer à une terrasse, ou sur un banc, se régaler les yeux de la beauté dans laquelle on baigne.

Ce soir-là, comme de juste, tous les bancs étaient surchargés de grappes familiales, sauf un –  tiens ! – occupé par une jeune fille seule. Dans ce pays on n’aborde pas une femme dans la rue, encore moins une jeune fille quand on est un homme. Pourtant elle est seule, situation insolite. Eh bien, puisqu’insolite il y a, fi des conventions : je désigne la place à côté d’elle : « Puis-je ? ».
Sa réponse tint dans un beau visage éclairé d’un léger, si léger, si délicat, sourire.

Je me suis assis et nous avons parlé. Non, c’est elle qui a parlé, longtemps, avec de temps à autre, de ma part quelques monosyllabes pour l’encourager à continuer.

Je me laissais bercer par une voix douce et un accent charmant. Une lourde chevelure sombre, de grands yeux noirs, une bouche épanouie, une peau d’airain lisse et chaude, des hanches accueillantes, un nez impérieux. Une impératrice d’Orient ! Je ne savais pas que des yeux noirs pouvaient être si doux, leur regard si profond.
De quoi avons-nous, avait-elle parlé ? De ce qui importe, quand seul importe de parler.

La foule s’écoulait toujours, lentement. Ma voisine s’était tue et la lune s’était levée, large, imposante, faisant sortir de l’ombre mille choses et nous enveloppant, cette inconnue et moi, d’une lumière complice. Un instant qui ne devrait jamais prendre fin.
Soudain ma voisine se leva. Au moins aurais-je droit à un baiser d’adieu ? Non, elle me tendit la main, comme pour me tenir à distance. Ce moment d’éternité allait donc se terminer par une poignée de mains ! Affolé à l’idée de la perdre, au risque de paraître un vulgaire dragueur :
– Quel est votre nom ?
– Sofia
– Puis-je avoir votre téléphone ?
Contre toute attente, elle me le donna, puis partit. Elle allait se fondre dans la foule, quand elle se retourna : « Au revoir ma lune ».
Ma lune, elle m’avait appelé ma lune ! Se moquait-elle ? Il est vrai que dans la langue arabe le soleil est féminin et la lune masculine. L’astre fort, rayonnant, féminin, tandis que le symbole de la douceur et de la discrétion est masculin. Sofia serait-elle de culture arabe ? Ou alors allemande, peut-être … non certainement pas. Elle est de ces femmes effacées qui s’imposent par leur discrétion.

De retour en France, dans les Alpes baignées de pleine lune, comment ne pas penser à Sofia ; elle m’a oublié, c’est sûr.
La pleine lune, mais oui ! j’attrapais mon téléphone. Par chance, Sofia me répondit aussitôt, comme une amie quittée la veille :

– Bonsoir ma Lune, que cet appel soit pour m’apporter de la joie.
– Sofia, veux-tu bien aller à la fenêtre ?
– Oui, pourquoi pas ; voilà, j’y suis.
– Que vois-tu ?
– Je vois les gens qui se promènent comme tous les soirs, des enfants qui jouent.
– Vois-tu la lune ?
– Oui, bien sûr.
– Sofia, c’est merveilleux !
Elle ne comprenait pas.
– Sofia, c’est merveilleux, nous sommes tous deux face à la lune.

J’entendis sa joie. « Mais oui, ma Lune, ton visage rond et souriant est là, devant moi ».
Ainsi avions-nous pris l’habitude de nous voir régulièrement dans le miroir de la lune. Il lui est arrivé de me demander :
– La lune a-t-elle bien parlé pour moi ?
– Oui, bien sûr.
Ce n’était qu’un demi-mensonge ; ce qu’elle voulait me transmettre, je l’imaginais très bien. Après tout, ce que j’avais en tête, n’était-ce pas la lune elle-même qui me l’avait soufflé ?
Certains soirs : « Que se passe-t-il, tu n’es pas bien, je ne vois qu’un visage bien sombre. »
Le plus étonnant est que, bien souvent, elle devinait de cette façon mon humeur et je dois dire que, moi aussi, il me semblait parfois voir la lune refléter le plus profond d’elle-même.

Jusqu’à ce jour où : « Il numero chiamato è irraggiungibile », ce numéro n’est pas joignable !
Sofia italienne, donc ? La lune ne m’en a rien dit. Elle ne me dira plus rien, désormais. Elle est devenue muette.



1.  Dario FO, La Figlia del Papa, Chiarelettere, Milan [Dario Fo, Prix Nobel de littérature, est décédé récemment].
2. Jean-Noël Schifano, Chroniques napolitaines, Gallimard.

2 réponses
  1. 299 dit :

    I’m extrermely impressed with your wriring skiklls and lso wifh the llayout on yokur
    blog. Is thiss a paod themee or ddid yyou customizze itt yourself?
    Eitherr way kep uup the exceloent quality writing, it’s
    rsre too ssee a grrat bkog like this oone nowadays.

    Répondre

Laisser un commentaire

Participez-vous à la discussion?
N'hésitez pas à contribuer!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *