Le poète s’en va dans les champs,

Et le voyant venir, les fleurs, toutes les fleurs,

Celles qui des rubis font pâlir les couleurs,

Les petites fleurs d’or, les petites fleurs bleues,

Prennent, pour l’accueillir agitant leurs bouquets,

De petits airs penchés ou de grands airs coquets.

Victor Hugo – Les Contemplations

 

Elle avait surgi de nulle part. Il ne m’est pas rare de voir prendre place à mes côtés, de façon délibérée, une femme que je n’ai strictement pas remarquée auparavant. Je suis reconnaissant à celles qui me font ainsi l’honneur et le plaisir de me porter intérêt, même si la rencontre n’est bien souvent que furtive et si tout est dit sans que rien ne soit dit.

Depuis mon enfance à la campagne, je suis fasciné par le monde, plus que cela, l’univers des plantes. Elles ont l’avantage sur les animaux de ne se dérober ni au regard ni à la main et se laisser découvrir jusque dans leur intimité. Les plantes sont bien des êtres vivants, avec tout ce que cela implique. Certains vont même jusqu’à dire qu’elles possèdent une forme d’intelligence, ce je ne suis pas loin d’admettre. Ce serait une intelligence chimique, certainement, mais qu’est notre propre intelligence si ce n’est l’échange de substances chimiques entre neurones. J’avais parcouru la région grenobloise dans tous les sens, muni de ma Bible, La Flore complète portative de la France, de la Suisse et de la Belgique de Monsieur Gaston Bonnier, ouvrage que les doctes botanistes méprisent ouvertement, sans pour autant s’en séparer. Lorsque je parvenais à identifier la plante que j’avais recueillie, je voyais immanquablement accolée à son nom la mention peu exaltante de « Commun » voire « Très commun ». Il n’y avait là rien d’anormal, puisque j’étais dans une région où la flore est, justement, commune. Au fil des pages que je feuilletais, je voyais défiler des noms portant la mention « Région méditerranéenne », qui sentait bon la garrigue et me faisait rêver.

Ce jour-là j’y étais, enfin, dans cette Région méditerranéenne. Nous étions en sortie de botanique universitaire. Ici pas de sol détrempé, pas de larges feuilles molles qui s’affaissent dès qu’elles sont cueillies, mais une terre chaude, rocailleuse, et des plantes vivaces qui s’accrochent à la vie, défient la sécheresse et tiennent tête au soleil et au vent.

La classification des plantes, comme celle de tous les êtres vivants, est une vaine tentative pour encadrer ce qui non seulement est infiniment complexe, mais évolue sans cesse, jusque sous nos yeux. J’en voyais un exemple dans la Scabieuse maritime, plante de la Région méditerranéenne, donc, discrète tête bleue au bout d’une tige assez longue. Ses feuilles sont verticillées, c’est-à-dire disposées en étages, et finement découpées, ce qui est pour la plante un moyen de résister à la sécheresse en limitant l’évaporation, cependant au prix d’une perte d’efficacité puisque la surface de la feuille est plus réduite. Au fur et à mesure qu’on s’éloigne du bord de mer et qu’on pénètre dans l’intérieur du pays, moins aride, notre scabieuse en profite pour se munir de feuilles entières, progressivement, étage par étage en partant du bas, au fur et à mesure que le sol gagne en humidité. Un étage est gagné tous les cinquante kilomètres environ à l’intérieur des terres.

Les plantes sont aussi animées. Leurs mouvements, révélés par des films projetés en accéléré, sont fascinants comme ces vrilles explorant méthodiquement l’espace pour trouver un support où s’enrouler, un exemple parmi tant d’autres. Ce n’est pas de l’intelligence, mais c’est bien imité. Les fleurs s’ouvrent le plus souvent le matin, pour certaines tardivement, comme la Dame de Onze Heures qui attend précisément cette heure-là pour déployer ses corolles virginales. D’autres, comme le jasmin, attendent au contraire la fin de journée pour répandre leur parfum enchanteur dans la quiétude du soir. La chicorée et le ciste albidus – dit blanc du fait de ses feuilles cotonneuses – offrent de resplendissants bouquets, d’un lumineux bleu roi pour l’une, et pour l’autre de larges pétales fripés d’un vieux rose. D’un jour à l’autre en apparence rien n’est changé ; les mêmes tiges portent toujours les mêmes fleurs. En apparence seulement car, lorsque le soleil tramonte (1), les corolles de la première se ferment à jamais, tandis que les pétales de la seconde tombent à terre les uns après les autres, comme à regret, comme autant de larmes que fait couler le jour finissant. Le lendemain, le soleil à son lever voit d’autres fleurs s’épanouir pour prendre la place de celles qui se sont effacées la veille, si bien que tout semble immuable.

Tout à mon émerveillement devant cette vie foisonnante, je mis quelque temps à remarquer qu’une jeune personne me suivait pas à pas. Elle s’arrêtait, repartait avec moi en restant près, très près, à me toucher, sans toutefois le faire. Je ne me tournai pas vers elle, ne la regardai pas, seulement par vision parafovéale (2) ,comme disent les scientifiques, autrement dit du coin de l’œil je perçus qu’elle était digne d’intérêt, d’une beauté qui, clairement, n’était pas qu’apparence physique.

Je sus son nom plus tard, Françoise.

Sans me départir de mon attitude de botaniste attentif, je m’éloignai progressivement du groupe, elle avec moi. Quand nous fûmes hors de vue, je fis ce qu’elle attendait, la seule chose au monde qui comptait pour elle à ce moment-là, je l’entourai de mon bras.

Encore et toujours, je voudrais les mots pour dire une femme habitée par le désir, une femme qui veut se donner, s’abandonner, totalement, absolument. J’avais simplement posé mon bras autour d’elle et ce fut comme si une autre main appuyait avec force sur la mienne pour creuser sa taille, l’écraser contre moi, pour que son corps se moule au mien, des pieds à la tête, comme une poupée molle et pourtant frémissante, comme pour nous fusionner l’un à l’autre. Nos jambes flageolèrent ; nous sommes tombés dans l’herbe.

Je regardais cette inconnue étendue près de moi, immobile dans une robe légère à petites fleurs multicolores. Ma dormeuse du val gardait les yeux ouverts, des yeux bleus, si pâles, si transparents qu’ils paraissaient de verre. Aucun trou rouge au côté droit, fort heureusement, ni au côté gauche, ni plus haut, ni plus bas, ce que je vérifiais en explorant méticuleusement ce corps magnifique, en proie pourtant à une vague appréhension : est-elle tombée en cachexie, en proie à un malaise vagal ? Mais alors continuer serait un viol !

Je posais la main sur son ventre « Tu me brûles ! ». Elle avait crié, le visage crispé par la douleur. Je la brûle, en posant la main, sur sa robe ?!

Je pris une jambe, la tirai à moi, repoussai l’autre, sans effort. Les membres, en apparence inertes, semblaient précéder ma volonté. Elle était comme un pantin désarticulé qui serait animé intérieurement pour m’obéir. Je caressai maintenant, des deux mains, avec force, les bras, les épaules, la poitrine, le ventre, les cuisses. Françoise haletait. Je déclenchais en passant un orage intérieur. Je remontais le long des cuisses ouvertes. Une femme avait fait savoir ce qu’elle et ses semblables attendent de nous dans ce moment-là : caresser le sexe au travers de la culotte jusqu’à ce que l’humidité indique qu’il est temps de l’enlever.

Il était grand temps de le faire.

Il fallait quitter la culotte, et le reste. Françoise, toujours comme absente, esquissait de légers mouvements pour accompagner mes gestes et les faciliter. Quand elle fut nue, je l’admirai. Comme elle était belle ! Un corps, des seins parfaits. Je n’osais pas la toucher, toujours en proie à la même vague crainte, est-elle bien consciente, réellement consentante, ne vais-je pas profiter lâchement d’un moment de faiblesse ? Il me fallait repousser mes doutes, me jeter à l’eau ; je me déshabillai rapidement et me plaquai à elle. Elle m’enserra de ses bras avec un profond râle de satisfaction.

La suite, vous pouvez l’imaginer. Nous avons fait l’amour, tout simplement fait l’amour, avec bonheur.

 

  1. En Italie, le soleil tramonte le soir (passe derrière les monts) ; le matin il sorge (surgit). Tout de même plus évocateur que notre coucher et lever.
  2. La fovéa est la partie centrale de la rétine ; elle seule nous permet de distinguer les détails, dans une fenêtre étroite, aussi l’œil fait-il continument un vif et discret balayage, une sorte de scanning dont nous n’avons pas conscience, pour nous permettre de tout voir avec précision. Voir:  http://science-sapience.fr/la-vision/
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