Refuge de l’Aigle, Massif de l’Oisans, groupe de la Meije, altitude 3440 m.

J’avais alors tout ce qu’un homme peut désirer, une femme très belle, yeux bleus et cheveux noirs sur une peau de lait, sensible, érudite, deux filles merveilleuses, une profession qui me convenait parfaitement, la seule sans doute que je pouvais exercer. Avec l’aide de mon père et de mon frère, j’avais construit une maison à mon image. J’avais eu ainsi le privilège d’inverser la proposition habituelle : si l’architecture conditionne notre mode de vie, j’avais fait en sorte que mon mode de vie conditionne l’architecture de ma maison. Chaque pièce correspondait à mon attente, une grande salle de vie, largement ouverte sur l’extérieur par de vastes baies vitrées, une cuisine attenante, discrète et opérationnelle, des chambres à l’étage avec vue sur mes montagnes. Elles étaient toutes là, autour de moi ; la Grande Chartreuse à gauche, le Taillefer à droite et, bien en face, le massif de Belledonne, les belle donne alignées comme pour un défilé de mode avec, tout au bout, par beau temps, majestueux, le Mont Blanc. Le voir est toutefois un fugace privilège, gommé par le lendemain par une pluie inexorable.  Et puis, si proche et si hautain, et familier, le Moucherotte, MON Moucherotte qui avait vu mes premiers pas de montagnard, toujours prêt à répondre à mes pulsions d’évasion, à toute heure et par tout temps.

Ce monde allait s’effondrer. Echec conjugal, impasse professionnelle. J’allais devoir m’éloigner, quitter tout cela, femme et enfants, maison, sommets.

Quitter mes montagnes ! Face à elles, la tête bourdonnante de tout ce qui m’assaillait, j’éprouvais soudain le besoin irrésistible de les rejoindre, me réfugier dans leur silence, me perdre en elles, immergé dans leur sérénité. Mon sac de randonnée était toujours prêt ; j’y jetais quelques victuailles et pris le volant, sans avertir personne. Ma voiture s’engagea sur la route qu’elle avait si souvent empruntée, direction l’Oisans. Au-delà du Bourg d’Oisans, ce serait soit la Bérarde, soit La Grave, autrement dit la face Sud ou la face Nord de la Meije.

Ce fut La Grave.

Qui n’a jamais traversé le village de La Grave sans contempler la somptueuse face Nord du massif de la Meije ? Une haute muraille, avec son Grand Pic, ou Pic de Mejdi’, autrement dit Pic du Midi (1), une altitude de 4.000 mètres, avec ses magnifiques glaciers, à gauche le Tabuchet, à droite le Glacier de la Meije et, plus à droite encore, l’immense glacier du Mont-de-Lans, le seul glacier de calotte des Alpes (2).

Voilà pourquoi j’étais ici, j’irais au refuge de l’Aigle.

De La Grave, il faut descendre dans le vallon de la Romanche, traverser le torrent sur un pont de bois, prendre pied sur la pente raide de l’autre versant et la gravir, tout droit, en direction de l’Aigle, un des plus hauts refuges des Alpes. Deux mille mètres à remonter, sans doute dans tout le massif alpin le plus fort dénivelé pour atteindre un refuge.

J’avalais ces deux mille mètres d’une traite, sans me préoccuper d’un quelconque sentier, comme pour m’étourdir, sans lever la tête, ne penser à rien d’autre que poser mes pieds, m’appliquer à une marche régulière, équilibrée, où chaque pas doit préparer le suivant en une sorte de danse rythmée, en évitant le plus léger déséquilibre qui serait un effort supplémentaire. Doser l’énergie dépensée à chaque pas, sentir dans son corps ce qui reste disponible, sachant d’expérience ce qu’il en coûtera d’arriver au but.

Le Tabuchet atteint, il faut rester sur la vire rocheuse qui le longe, car la glace a creusé dans la roche un lit aux parois lisses et abruptes. Il avait peu neigé cette année-là et la rimaye (3) était béante, large d’une bonne dizaine de mètres et d’une profondeur insondable. Je devais me concentrer sur chacun de mes gestes ; glisser dans la crevasse sera la fin ; outre que la chute serait terrible, je n’aurais aucune chance d’en sortir, n’ayant aucun secours à espérer. Au bout de la vire, je pus franchir la rimaye d’un bond. Ce ne sera peut-être moins facile au retour ; nous verrons bien !

Le refuge de l’Aigle, le bien nommé, était à l’époque une simple baraque de pin doublée de zinc, fixée par des câbles au seul piton rocheux qui, des kilomètres à la ronde, émerge des glaces, suspendue au bord du Glacier de l’Homme et ses vertigineux mille mètres de séracs. Il est le point d’aboutissement de la traversée de la Meije, une des plus belles courses des Alpes, où les cordées venant de la Bérarde se succèdent sans interruption.

Comment imaginer que les Alpes soient restées inexplorées jusqu’au XIX° siècle. Ces majestueuses cimes n’intéressaient jusque-là personne, surtout pas leurs habitants, montagnards bien trop occupés à arracher leur survie de cette terre avare et rocailleuse, qui leur brisait les bras et le dos, recouverte de neige d’octobre à mai. Ils ne remontaient les pentes que pour accompagner leurs bêtes dans les alpages. Quelques-uns pourtant s’aventuraient, posaient hardiment leurs lourds souliers cloutés sur rochers et glace. Ceux de La Bérarde remontaient parfois le glacier de l’Etançon pour escalader la brèche de la Meije et apercevoir, de l’autre côté, La Grave et la route du Lautaret, autrement dit la civilisation.  Tout à leur rude existence, ils n’étaient pas pour autant insensibles à la beauté des parois et des sommets, aux glaciers qui s’aventurent bas en hiver pour regagner leurs sommets en été, personnages familiers de leurs contes, décor immuable de toute leur vie, illuminés au premier soleil ou théâtre d’ombres avant l’orage.

Certains hivers, les immenses faces peuvent totalement disparaître sous une épaisse couche de neige. J’avais assisté à ce spectacle le jour où nous avions découvert à notre réveil La Bérarde sous une épaisse couche de poudreuse tombée drue dans la nuit. Impossible dans ces conditions de tenter quoi que ce soit. Seule possibilité, remonter, péniblement, de la neige jusqu’à la ceinture, le vallon de Bonne-Pierre. Dans ce cirque de géants, la face Ouest de la Barre des Ecrins, qui domine tous les sommets environnants, tout n’était qu’immensité blanche. Soudain sous nos yeux ces colosses se sont lentement affaissés, semblant entrer sous terre. La neige qui les recouvrait glissait et semblait les entraîner inexorablement dans sa chute, comme un gigantesque décor de théâtre qui s’effondrerait. Bien qu’apparemment faites d’un léger coton, les avalanches de poudreuse sont extrêmement dangereuses. Nous le savions et étions prudemment restés au centre du vallon. Bien nous en a pris ; nous avons été bientôt secoués par le souffle d’une violente explosion, en même temps qu’une poudre glacée s’abattait sur nous, s’insinuait, dans nos vêtements, emplissait nos poumons, nous étouffait. Mais quel spectacle !

Les premiers à s’aventurer dans cette contrée partirent à l’assaut de ce massif comme d’autres, plus tard, l’Himalaya. Les conditions étaient comparables, aucune infrastructure, aucune hôtellerie. On pouvait toutefois dormir dans la paille de « l’auberge » de Saint-Christophe-en-Oisans ou encore de La Bérarde, où on était servi de quelques patates cuites dans la graisse rance, grattée à l’intérieur d’une peau de chèvre et conservée dans du papier journal. A partir du Bourg d’Oisans ou de Briançon, c’étaient des journées d’approche, avec l’aide des sherpas de l’époque, les paysans et leurs mulets (tarif : 1 sou par jour pour un homme, 20 pour un mulet). Il fallait hisser, outre le matériel et les provisions de bouche, des tonneaux de vin, car il ne pouvait être question de boire l’eau des sources, porteuse de maladies d’autant plus terribles qu’elles étaient imaginaires. Certains sommets portent le nom de ces premiers explorateurs, Anglais, comme Whymper , américains comme Miss Bevoort et le Révérend Coolidge, ou Autrichiens, comme les frères Zsigmondy. Il ne faut pas oublier pour autant les rudes montagnards du « Haut Dauphiné », tels le père Gaspard et son fils.

Fort heureusement ce jour-là, en fin de saison, ma montagne était déserte. J’étais seul au monde dans cette grandiose face glaciaire, depuis la majestueuse et aérienne arête blanche de la Meije Orientale, à gauche, jusqu’au Grand Doigt, le Doigt de Dieu, à droite, en passant par le long alignement des arêtes. C’est en redescendant de la Meije Orientale que je verrais une fois de plus ma dernière heure arriver, un jour où la glace était dure et cassante comme du verre, si bien que rien, ni piolets, ni crampons, ni pitons ne pouvaient nous retenir. Sur cette étroite arête glaciaire, entre deux à-pics vertigineux, on est en plein ciel, au-dessus de tout. En montant, on prend appui sur un pied, puis sur l’autre si bien que les crampons peuvent remplir leur office, même de façon précaire, mais à la descente cet appui n’est plus, chaque pas est un saut dans le vide. Ce jour-là je me sentis soudain glisser. Le temps de penser « Ça y est, on y va ! », en une fraction de seconde se résigner au pire, et la chute s’était arrêtée.

Ma chute, qui aurait entraînée celle de mon compagnon de cordée, n’aurait été qu’un drame de plus parmi les innombrables qui se sont joués dans cette face de la Meije, où la tempête venue de l’Ouest, mortelle à cette altitude, s’abat en quelques heures. C’est toujours le ventre noué que je pense à cette jeune fille dont le compagnon de cordée, aveuglé par la neige en longeant les crêtes, avait basculé dans la face Sud, pour rester suspendu dans la paroi verticale par la corde qui le reliait à sa compagne. Le poids de l’homme entrainait lentement et inexorablement la jeune fille dans le vide. C’était l’époque des cordes de chanvre qui, une fois mouillées, gelaient et devenaient dures comme du bois. Des cordées de passage avaient bien tenté d’aider la malheureuse, mais ne purent la délivrer de son carcan mortel et ont dû se résoudre à l’abandonner à son sort, sous peine de geler avec elle.

Tous les lundi matin, la même question parcourt les gradins des amphithéâtres universitaires grenoblois: qui n’est pas rentré?  Et si certains manquent à l’appel, où sont-ils allés? Problème, les montagnards sont peu enclins à faire état de leurs projets. Il faut enquêter auprès des proches, glaner quelques informations qui pourraient aider aux recherches, mais il est bien souvent trop tard. Ce sont alors les gendarmes de la brigade de haute-montagne qui in fine retrouvent et ramènent les corps. A moins que le drame ne soit pas déjà annoncé dans la presse. Ce fut le cas pour un de mes amis, qui disparut avec une entière cordée emportée par une plaque à vent (4). Tous étaient guides et aspirants-guides de l’Ecole de Haute-Montagne de Chamonix, Actuellement les téléphones portables ont grandement amélioré les conditions de recherche et secours, ce qui n’exclut pas totalement les accidents mortels.

Assis devant la cabane, profitant des derniers rayons de soleil, je vis une silhouette se détacher sur les arêtes, venant du Grand Pic. Une deuxième suivit, puis une troisième et, tels les oiseaux d’Hitchcock, une multitude. Une collective ! Pourquoi s’étaient-ils engagés si tard ? Il faut dire que, vu leur nombre, ils n’avaient pas dû monter très vite. Il est vrai aussi que le temps était beau et stable, donc pas de tempête à craindre. Hélas, c’en était fini de ma tranquillité.

Je songeai à passer la nuit dehors, mais la bise s’était levée, signe de beau temps pour le lendemain et prélude à une nuit glaciale. Avec la fatigue de la montée au pas de course et mon léger sac de couchage, je n’étais pas en mesure de l’affronter. J’avalais donc mon casse-croûte – ce fut vite fait – si bien qu’à l’arrivée de la foule, j’avais pris place sur une paillasse contre le mur, près de la porte. Je ne regardai personne et personne ne fit attention à moi ; en montagne un solitaire se respecte. C’était une collective d’adolescents, menée par des guides. Fatigués, tous mangèrent rapidement et sans bruit, puis ce fut l’extinction des feux.

Dans la nuit je fus réveillé par un front appuyé au mien. Le contact me fut d’abord agréable, avant qu’un doute ne me saisisse, qui était à côté de moi, était-ce au moins une fille ? Dans le noir absolu, seules les mains peuvent renseigner. Il est des circonstances où le toucher est le seul organe d’utilité. Je tâtais la poitrine : arrondie. J’étais en bonne voie, d’autant plus que, par de discrets mouvements, ma voisine avait dégagé de jeunes seins. Jeunes, puisque réguliers et très fermes, presque durs, comme sont souvent les seins d’adolescentes. Tandis que je les caressais, des doigts nerveux s’attaquaient à mon pantalon. Je ne tardais pas être en de bonnes mains.

Ma voisine poursuivait ses contorsions, en dépit de sourdes protestations à ses côtés. En refuge, dans l’obscurité totale, avec la proximité des couchages et l’excitation de la montagne, il n’est pas rare d’entendre les anges qui soupirent (5). Personne ne crie encore, encore ! mais le cœur y est bien souvent. Je sentis contre moi une chair nue, et me laissai guider.

Je fus projeté en plein ciel. Cette femme, dont j’ignorais tout hormis qu’elle était femme, me communiqua une telle énergie, une telle force vitale, que je fus foudroyé. Avec la vie conjugale chaotique qui était alors la mienne, ce contact me mit immédiatement au bord de l’explosion. Je serrais les dents et, dans un réflexe absurde, fermai les yeux pour mieux me concentrer. J’avais en tête une petite voix, tellement triste, si douloureusement résignée, qui soupirait « Tu m’as déçue, une fois de plus ! ». Il ne fallait pas que cela se renouvelle. Le plaisir doit être partagé ; c’est aussi une question de respect. Je pensais à Gainsbourg, pianiste à Deauville. Les femmes se bousculaient, certaines même couchées à sa porte pour ne pas perdre leur tour. Lui se retenait, jusqu’à : « Dans la prochaine, j’envoie la purée ». Heureusement, j’étais dos au mur, ce qui m’interdisait tout mouvement intempestif, aussi je pense ne pas avoir déçu ma compagne de cette nuit.

Au matin, des yeux malicieux, où se reflétait une rougeoyante chevelure, me regardaient manifestement ravis du bon tour qu’ils m’avaient joué. Je me dis que cette délicieuse personne tombait du ciel, au propre comme au figuré, dans la grisaille de ma vie sentimentale d’alors.

– Comment t’appelles-tu ?

– Hélène.

– Tu veux bien rester un peu avec moi ?

– Impossible, je dois rentrer avec les autres.

Il est vrai que les guides-accompagnateurs doivent impérativement ramener tout le monde à bon port. Personne ne doit rester en route, sous aucun prétexte.

– Pourrais-je te revoir ?

–  Je suis fiancée.

Fiancée ? J’aurais pu m’y tromper cette nuit ! Elle le dit avec détachement, comme une fin de non-recevoir. Je n’insistai pas. Je savais d’expérience qu’une « fiancée » peut parfois s’abandonner un instant, pour ensuite se reprendre sans retour possible.

Le groupe partit. La montagne me parut tout à coup si froide, hostile, inhospitalière, que je m’efforçais de leur laisser le temps de s’éloigner suffisamment avant de dévaler  la pente à mon tour.

Je ne suis pas revenu à la Grave depuis très longtemps. Je refuse de voir le téléphérique construit pour transformer le somptueux glacier de la Meije en cour de récréation. Les montagnes sont devenues terrain de jeu ; les drames qui s’y déroulent ne sont plus rien d’autre que des accidents de la route.

 

Chalet de La Pra, Massif de Belledonne, altitude 2110 m

 

La moyenne montagne est moins exaltante, les événements qu’on peut y vivre et les rencontres qu’on peut y faire n’ont pas le même degré d’intensité qu’en haute montagne, mais ont souvent un caractère plus pérenne. Moins attractive, elle est heureusement mieux préservée de la mécanisation. Pour les Grenoblois, elle a aussi l’avantage d’être tout proche.

La Croix de Belledonne, une des plus belles des belle donne, est une splendide randonnée de « ski de printemps » en début de saison, lorsque la neige commence à se « transformer ». Elle se ramollit au soleil déjà chaud d’avril et elle regèle la nuit, prenant au fil des jours une consistance de gros sel, très agréable à skier tôt le matin, avant qu’elle ne se devienne « soupe » après midi. Ces ballades ont aussi l’avantage de constituer une excellente préparation pour les grandes courses, de mai à juillet. On passe la nuit dans le chalet de La Pra – le pré – et le matin on entame la montée d’une grande pente neigeuse qui conduit au sommet, à 2.800 mètres d’altitude. De là, le panorama sur Grenoble, 2.500 mètres plus bas, et les sommets qui l’entourent est proprement grandiose. Ensuite, à la descente, on a tout loisir de se laisser aller à décrire de grandes courbes, sans hâte, pour prendre le temps de jouir pleinement de cette belle montagne qui se prépare au printemps, où sous la neige les crocus s’apprêtent à déployer un festival de corolles multicolores.

Lorsqu’on est au sommet de la Croix, il faut imaginer que le Vercors, de l’autre côté de la vallée, à une quarantaine de kilomètres de là, était situé au-dessus de nos têtes il y a quelques dizaines de millions d’années, le tout immergé dans la mer alpine. Quand l’Afrique a poussé l’Italie, alors une île, contre le continent européen, par contrecoup les Alpes, avec la chaîne de Belledonne, ont surgi du fond des eaux comme un diable de sa boite (6). Le Moucherotte qui la coiffait, se trouvant en position instable, a glissé sur une couche gypseuse sous-jacente, comme une luge sur la neige, puis s’est replié sur lui-même jusqu’à s’affaisser dans la position qu’on lui connait, formant ce qu’on appelle un pli couché (7). L’Ecole de géologie de l’université de Grenoble, conduite par Jacques Debelmas, a été une des premières à comprendre que la formation des montagnes s’explique aisément si réalise que la roche n’est rien d’autre que de la pâte à modeler. De l’une à l’autre ce n’est qu’une affaire de temps, il se mesure ici en secondes et là en millions d’années. C’est le temps nécessaire pour que les molécules se réorganisent (8).  Le premier cours de Jacques Debelmas m’avait marqué : une personne qui vivrait quelques millions d’années, disait-il, pourrait prendre un bloc de marbre et le plier, sans effort. Comme le Moucherotte, au cours des temps géologiques les montagnes se sont contorsionnées avec galipettes et glissades, parfois sur de très grandes distances, partant par exemple de la vallée du Pô pour aller jusqu’à la région d’Embrun.

La montée à La Pra est aisée. Le lac du Crozet, gelé à cette époque de l’année, offre une belle surface plane. C’est pourtant ici qu’un ami a perdu une de ses compagnes de randonnée. En montagne le danger n’est jamais où on l’attend, plus exactement n’est jamais où on est préparé à l’affronter. C’est ainsi que, en compagnie du même ami, nous avons été emportés par une avalanche sur une pente qui ne présentait aucune difficulté, et que le grand Lionel Terray a fait près de là une chute mortelle en glissant sur des cailloux, comme un écolier étourdi.

La Croix de Belledonne avait attiré plusieurs groupes ce jour-là si bien que le petit refuge fut rapidement complet. Je le réalisais trop tard. Quand j’entrai, toutes les paillasses étaient occupées, à l’exception d’une seule, tout au fond, contre le mur. Je m’y glissais pour constater que le toit avait fui à cet endroit et que l’eau avait gelé, si bien que la moitié de mon matelas n’était qu’un bloc de glace. Il me fallut donc me réfugier contre mon voisin. Par chance, mon voisin était une voisine, qui m’a gentiment accueilli, en me témoignant beaucoup de chaleur. J’avais la glace d’un côté et le feu de l’autre.

Ce fut une belle nuit, qui n’est pas restée sans lendemain. C’est à ce bloc de glace que plus d’une demi-douzaine de personnes – à ce jour – doivent leur présence sur terre.

  1. Midi signifie littéralement mi-journée (di’ est jour en italien, d’où lundi, mardi, etc..).
  2. Les glaciers sont en général alimentés par la neige qui s’accumule sur les parois alentour ; ce qui n’est pas le cas d’un glacier en calotte, qui reçoit la neige directement sur lui.
  3. Une crevasse sépare toujours un glacier de son lit rocheux, c’est la rimaye.
  4. Un plaque à vent est de la neige accumulée sur le versant sous-le-vent. Elle n’adhère pas aux couches inférieures et, sans se distinguer de la neige environnante, elle peut se détacher et glisser au passage des alpinistes.
  5. Brassens, la Religieuse.
  6. En réalité les Alpes ont connu plusieurs périodes successives de soulèvement suivi de nivellement par érosion. Ces montagnes, qui paraissent immuables, naissent, vivent et meurent comme tout ce qui est sur terre. Actuellement, le massif alpin s’élève d’un millimètre par an. Cela semble insignifiant, mais il faut raisonner en millions d’années. Source: https://www.camptocamp.org/areas/14398/fr/belledonne.
  7. Après érosion des parties supérieures, un pli couché forme une montagne où l’ordre des couches géologiques est inversé, les anciennes au sommet et les récentes plus bas. La Sainte-Victoire de Cézanne est dans ce cas.
  8. Voir :Les quatre éléments – Science Sapience (science-sapience.fr)

Illustration: la Meige vue de La Grave. Le Grand Pic domine, avec à gauche les arêtes. Devant,  le glacier du Tabuchet et à droite le glacier de la Meige (Photo Henri Isselin, La Meige, aux éditions Arthaud)

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