Je suis né et je vis dans un très grand et très beau pays qui se nomme Francitalia (1). De Gaulle parlait de la France de Dunkerque à Tamanrasset, ce qui ne tenait pas debout, comme l’histoire l’a bien montré. Ç’aurait été un pays coupé en deux par la mer, avec deux cultures, deux modes d’expression aussi éloignés l’un de l’autre que possible. Mon pays à moi, lui, va de Dunkerque à Brindisi. Un ensemble cohérent que rien ne divise, une même culture, un même mode d’expression. Une chaîne montagneuse s’interpose en son centre sans pour autant créer de séparation, car les montagnes ni les fleuves ne divisent les peuples. Au contraire, ce sont des traits d’union. Les deux piedmonts, les deux rives abritent deux populations-sœurs qu’une même géographie gouverne. Pour la Francitalia, si les tunnels ont amélioré les communications transalpines, il subsiste un rétrécissement territorial, favorisant la persistance des particularités locales.

Un pays c’est d’abord une langue. Il faut bien voir que sont là deux notions récentes. Les nations actuelles proviennent de la réunion sous une même autorité de régions auparavant plus ou moins autonomes. De même pour le langage. Les langues modernes se sont formées par la cristallisation de parler régionaux. Dans le cas de Francitalia, l’étendue du territoire et la présence des Alpes ont fait que deux langues ont émergées. Deux langues différentes, mais apparentées car toutes deux campées sur une même racine, le latin. L’évolution est récente pour l’Italie, où la langue nationale s’est imposée il y a peu, en restant fortement imprégnée d’expressions et d’intonations locales, surtout dans ce qu’on peut appeler le « Grand Sud » ou, de façon péjorative, la « Basse Italie ».

Deux langues différentes, mais en osmose, sorte qu’on peut parler de franco-italien, langue florissante du fait des auteurs italiens écrivant en français (2). Impossible de ne pas citer ici en tout premier les magnifiques Simonetta Greggio [Bellissima ; Dolce Vita] et Serena Giuliano [Luna ;  Ciao Bella]. Les auteurs italiens apportent à la langue française une autre dimension par leurs valeurs propres, la qualité de leurs sentiments et de leurs relations humaines, en particulier familiales. Nous sommes loin de la littérature française contemporaine, où prédominent le « mal de vivre », le « bord du gouffre » et les « relations toxiques ». Sans parler du vocabulaire, une grande richesse au-delà des Alpes qui se perd en deçà. Une amie arabophone me disait de quelle façon les Egyptiens jouent avec les mots, les créent, les transforment, les modulent pour que leur sonorité s’accorde à la pensée, évoquent la douceur ou au contraire la froideur. Là est aussi le génie des Italiens. Ils n’ont pas leur pareil pour bercer l’enfant d’une infinité de paroles douces. L’échange ne se limite pas à l’écrit. France et Italie ont besoin l’une de l’autre, nous dit la délicieuse Gigliola Cinquetti qui a gagné le Concours Eurovision de la Chanson à 13 ans avec Non ho l’età (je n’ai pas l’âge – de t’aimer). Une toute jeune fille qui a chanté un amour de son âge avec tant de fraîcheur, émotivité et sincérité, qu’elle a séduit le monde entier. Pourtant elle n’avait alors pas d’amoureux, a-elle-dit, seulement de l’amour en elle. Toute l’Italie est là. Depuis, avec bien d’autres, elle chante en italien comme en français.

Il est vrai que cet échange est à sens unique. La puissance économique du Nord crée un appel d’air, d’autant plus fort qu’un expansionnisme, pour ne pas dire un impérialisme, accroit d’autant le nombre de lecteurs potentiels. Qui dans le monde peut lire l’italien ? C’est différent pour la chanson, qui peut s’entendre sans comprendre les paroles. Certes, à défaut d’écrire en italien, de nombreux auteurs français parlent de l’Italie, parfois remarquablement bien. J’en veux pour exemple Antoine Choplin qui, avec sa Partie italienne, non pas « parle » de l’Italie mais nous y transporte.

La Francitalia c’est la cigale et la fourmi. La cigale avec soleil et musique, qui se retrouvent dans l’assiette. La cuisine du Sud a gagné tout le pays. « Un nouveau restaurant italien ouvre chaque jour en France. On en compte 16 000 dans tout le territoire, trois plus que les fast-foods, et quatre fois plus que les restaurants japonais. Devant un match de foot, c’est la pizza, quand on manque de temps, rien de tel que des pâtes, et en cas de gros chagrin, le tiramisu… » (3). La raison du succès tient dans ces mots, simplicité et chaleur. Une assiette (au sens large) savoureuse est le meilleur des antidépresseurs. Dans sa région d’origine, la pizza est tout simplement un peu de tomate étalée sur une simple pâte passée au four ou frite.  On l’achète en passant quand une petite faim se fait sentir en la repliant pour mieux la tenir en main. Elle a conquis le Nord en devenant de plus en plus richement garnie pour répondre aux besoins créés par un climat de moins en moins clément au fur et à mesure que la latitude augmente.

Un climat froid entraîne de nombreuses contraintes, d’où la fourmi, ses provisions et ses galeries où la colonie est bien à l’abri et au chaud. Par chance la France a été a été dotée de ressources lui permettant de répondre à ces impératifs. Je veux parler des mines de charbon et de fer de Lorraine.  Le charbon a été la première source d’énergie non animale utilisable à grande échelle ; le fer a été le premier matériau permettant des constructions élevées. Deux éléments qui ont été combinés à l’infini. Ainsi, le fer a été associé au ciment romain pour donner le béton armé, après que des ingénieurs français aient constaté que fer et ciment ont le même coefficient de dilatation, c’est-à-dire réagissent de la même façon aux variations de température. L’industrie était lancée. A cela il faut ajouter les ressources agricoles, vastes terres arables et forêts, dont l’Italie est moins bien dotée du fait de son centre montagneux, au sol aride.

Arrêtons-nous un moment sur le charbon. On ne peut en parler sans évoquer ses serviteurs, autrement dit les « mineurs de fond, ces hommes qui s’enfonçaient dans d’étroites galeries, à des profondeurs vertigineuses, quelquefois plus de mille mètres, pour extraire le charbon au péril de leur vie et de leur santé, guettés par les « coups de grisou », les émanations de méthane, et les poumons minés par les poussières de charbon et de silice, tout cela pour une vie de misère – dont pourtant ils étaient fiers car telle était leur vie et celle de leurs parents et enfants.

 Pierre Bachelet l’avait fièrement chantée :

Au Nord, c’étaient les corons,

La terre c’était le charbon,

Le ciel c’était l’horizon

Les hommes, les mineurs de fond.

 

Pour monter une affaire, le plus difficile est de trouver le premier million, avait dit je ne sais plus qui. Dans le cas présent, il s’agit des ressources minières. La France en disposait, l’Italie non. Elle en avait bien d’autres, dont une qui s’appelle Renaissance. Une richesse culturelle immense, à tel point que le pays peine à en conserver l’héritage. C’est regrettable, car la fierté est une force quand elle s’appuie sur d’autentiques valeurs, comme ici.

Je garde en mémoire les mots de mon prof de géo, au collège : si on n’a pas de fer, on ne fabrique pas des rails, mais bien plutôt de montres, comme les Suisses. Pour les Italiens, leur point d’appui, à défaut de mines, est la famille. Combien de grandes industries italiennes ont nées au sein d’une famille. La famille Agnelli et son empire automobile en est l’exemple le plus connu. Il y en a bien d’autres, comme Benetton, dont la mamma tricotait quelques chandails pour les vendre au marché. Elle a rencontré un grand succès, habilement exploité par les membres de la famille jusqu’à développer, là encore, une industrie florissante. Habileté, adresse pour transformer un handicap en avantage, voilà les maîtres-mots qui rendent compte du développement économique de l’Italie.

En conclusion, au Nord une France industrielle, au Sud une Italie industrieuse. Industrieuse dans toutes les acceptions du terme ; Marcelle Padovani l’a dit bien mieux que je ne saurais le faire (4).

Pour être complet, il faut ajouter qu’un autre pays a bénéficié de ces avantages-là, c’est l’Allemagne, grâce aux ressources minière de la Sarre. Le parallèle est intéressant, car l’Allemagne s’étend elle aussi vers le Sud par l’Autriche, sans toutefois aller aussi loin que la Francitalia. Parallèle d’autant plus justifié que la Sarre, avec la Rhénanie-Palatinat, a fait partie de l’Empire Romain Germanique, comme en témoignent bien de vestiges, dont la ville de Cologne, autrement dit Colonia, la colonie romaine.

Je voudrais terminer sur une note personnelle. Mes origines se situent de part et d’autre des Alpes italo-autrichiennes. Une montagne qui, ici moins qu’ailleurs, ne sépare pas les peuples, d’autant qu’elle a été débordée par les Germains, qui se sont durablement installés de Milan à Trieste. Elle sépare toutefois deux cultures, germaine et latine. Je ressens les effets de cette mixité car j’ai, ce qui m’étonne moi-même, une forte affinité pour le langage germanique. Alors qu’on me fait fréquemment remarquer  une diction déplorable en français – un peu mieux en italien – elle est excellente en allemand. A n’en pas douter, un héritage de mes aïeux de cette région.

EN GUISE DE CONCLUSION

Je parlais des aspects quelque peu morbides de la littérature française contemporaine. La littérature classique n’est pas en reste, bien qu’étant plus élaborée dans la forme. Les romantiques, Chateaubriand et ses Levez-vous orages désirés et autres Mémoires d’Outre-Tombe, n’expriment rien d’autre qu’un mal de vivre. Nous sommes à l’évidence dans le Nord car si le Sud n’est pas exempt d’orages, ils ne prennent pas ce caractère oppressant qu’évoque Chateaubriand. Ils éclatent soudainement, avec force pour laisser rapidement place au soleil.

Allons voir encore plus au Nord. Dans les pays scandinaves, plus d’orages, plus de soleil non plus ou alors bien bas. En revanche ils ont des lois et une organisation sociale tournées vers le bien-être de tous. Ils ont aussi le plus fort taux de suicides. Le « mal de vivre », même s’il ne s’exprime pas dans ces termes, est bien réel.

Les comportements et les relations sociales évoluent ainsi  selon un « gradient » Nord-Sud. Parmi ces évolutions, il en est une tout à fait significative. Il s’agit des brefs contacts de mains ou de bras qui ponctuent les conversations. Ils ont été dénombrés dans les lieux publics comme les cafés (j’ai malheureusement oublié la référence de cette étude). Ils sont nuls en Angleterre, font leur apparition en France-Nord et s’accentuent en fonction inverse de la latitude. Cela traduit bien l’évolution Nord-Sud des relations sociales, donc des mentalités, parallèlement à l’accroissement de la chaleur solaire.

Le soleil est la clé de tout cela. Le soleil, plus exactement l’ensoleillement, autrement dit la lumière. Personnellement j’y suis très sensible et je vois arriver l’hiver avec un chagrin qui s’accroit d’année en année.

Pour autant, tout n’est pas parfait au Sud. Le romantisme a fait place à la mafia, plus exactement la criminalité organisée.

Ces criminels ne se contentent pas de régner par la terreur, ils font preuve d’une violence inouïe. Une violence abominable, perverse, que rien ne justifie, pas même  la volonté des mafieux d’imposer leur loi, Une violence qui a mon sens ne peut trouver ses origines que dans l’Asie Centrale. Les Barbares, tels que Huns et vandales, venus de cette région se sont imposés par leur férocité. Après avoir dévasté l’Europe Centrale, l’Italie et la France, ils se sont installés durablement en Sicile. Ils ont été évincés par les Byzantins, pour autant, les violences n’ont pas cessé. Elles ont perduré dans l’Île sous l’influence souabe (5).  Elles ont repris de plus belles sous l’influence des Américains, trop heureux de se débarrasser de leurs perturbateurs en les renvoyant chez eux, au moment de leur débarquement de 1943.

 

    1. Pour simplifier, nous parlerons de France pour la Francitalia-Nord et d’Italie pour la Francitalia-Sud.
    2. Italiens de langue française. La littérature franco-italienne au fil des siècles (revue Costellazioni) (fabula.org)
    3. Gilles Bouleau, JT de 20h sur TF1, le 25 juin 2019.
    4. Marcelle Padovani, L’Italie des Italiens, Seuil.
    5. Sicile – Une île très convoitée – Herodote.net