C’est une guerre minuscule, microscopique même, par la taille des combattants, mais colossale par leur nombre, leur férocité et les dommages qu’elle entraine. Colossale aussi par le théâtre des opérations : le monde entier. Pas un seul centimètre carré de ce qui est sur terre n’y échappe. Des combattants si petits et si nombreux qu’il est impossible de les dénombrer. En fait ce sont les plus petits organismes qui soient sur terre, à tel point qu’un microscope normal, même ultrapuissant ne permet pas de le voir ; il faut un microscope électronique. Dès lors, pour tenter d’évaluer leur importance, il faut raisonner par biomasse, ce qui veut dire tenter d’évaluer leur poids total. Cela peut paraitre ridicule pour des êtres aussi minuscules, néanmoins en admettant qu’on puisse le faire, on obtiendrait un chiffre colossal : 200 millions de tonnes. Comparé à eux, nous sommes des nains : l’humanité entière, rassemblée, ne pèserait « que » 60 millions de tonnes, soit trois fois moins (1).

J’ai nommé les virus. A qui font-ils la guerre ? A tout ce qui est sur terre. Ils sont partout, absolument partout et s’attaquent à tout et à tous, des bactéries à l’homme en passant par les animaux et les végétaux. En réalité ils ne cherchent pas à tuer leur adversaire, mais bien plutôt à l’exploiter à la manière du Coucou, vous savez l’oiseau qui ne veut pas s’occuper de sa progéniture et laisse ce soin à d’autres.

Voilà, un virus est la forme la plus simple de la vie. C’est la vie qui a pris forme, mais refuse d’aller plus loin. Ou un être qui va prendre forme et se dit : pourquoi tout ce travail ?  Faisons le minimum et laissons la suite aux autres. Pour ce faire, le virus a une stratégie très simple, il glisse subrepticement son plan d’architecture dans une cellule, ou une bactérie, laquelle va s’en emparer pour, stupidement, scrupuleusement en réaliser la construction. Le plan, c’est une molécule d’ADN (2). Elle contient toute l’information nécessaire pour construire un virus et l’organisme qui la reçoit va l’utiliser pour en construire des centaines, des milliers, jusqu’à s’épuiser à la tâche.  Ces virus nouvellement formés vont bien entendu reproduire le schéma et ainsi, sans bouger le petit doigt, si l’on peut dire, proliférer de façon exponentielle.

Cela étant, pour injecter son ADN dans sa cible, le virus doit d’abord s’arrimer à elle. C’est là qu’entrent en jeu une stratégie et un arsenal d’une incroyable sophistication, parfaitement à l’objectif visé.

Voyons le cas d’un virus qui s’attaque à une cellule. Inutile d’aller chercher bien loin pour trouver un exemple. Tout le monde a en tête l’image du virus SARS-Cov2 – c’est son nom scientifique – responsable du Covid, avec à sa surface une couronne de petites boules (d’où le nom de corona virus). Chaque petite boule est une protéine appelée spike (une épine, donc). L’objectif visé ce sont les cellules qui tapissent l’intérieur de notre nez, ou de nos poumons. Elles ne sont pas choisies au hasard. Tout d’abord parce qu’elles sont directement accessibles, exposées à l’air que nous respirons. Ensuite parce qu’elles exercent diverses fonctions et disposent pour cela à leur surface de structures appelées récepteurs. Voilà la porte d’entrée du virus. Les spikes sont construits de manière à reconnaitre ces récepteurs et s’y associer. Une fois arrimé de la sorte, le virus fusionne sa membrane à celle de la cellule et ainsi ouvrir un pore pour glisser son ADN à l’intérieur de la cellule .

Les virus qui s’attaquent aux bactéries sont dits bactériophages – littéralement mangeurs de bactéries – ou tout simplement phages. Les bactéries sont beaucoup plus grandes que les virus et elles  représentent une masse considérable :  70 milliards de tonnes. Des milliards de tonnes qui sont sous nos yeux et que nous ne voyons pas. Dans ce cas, les phages ne peuvent pas se fixer à des récepteurs, il n’y en a pas à la surface des bactéries. Ils doivent donc atterrir sur une surface uniforme et ont mis au point pour cela un module d’atterrissage parfaitement adapté. C’est très simple et rationnellement conçu : une seringue couplée à un réservoir et pourvue de pattes, de simples tiges coudées pour tenir la seringue perpendiculairement  à la surface. Une fois le phage posé, la seringue entre action, pousse l’aiguille pour percer la paroi de la bactérie et injecte le contenu du réservoir, c’est-à-dire encore une fois l’ADN du virus. Rappelons-le, tout cela est le fait d’un microorganisme si petit qu’il ne peut être vu qu’avec un microscope électronique. Rien qui puisse ressembler à un cerveau pour le guider jusqu’à une bactérie, rien qui puisse ressembler à un système musculaire pour actionner la seringue, seulement une poignée de protéines assemblées judicieusement et fonctionnant en toute autonomie.

Ce module d’atterrissage a été rigoureusement copié par la NASA pour poser Apollo 11 sur la lune (voir la figure).

Les organismes attaqués par les virus ne sont pas sans défense, sinon il n’y aurait plus qu’eux sur terre. Comme tous les Mammifères, nous nous défendons grâce à notre système immunitaire. Il fonctionne selon une fusée à deux étages, qui s’allument l’un après l’autre. Le premier étage est l’immunité innée. Elle se déclenche d’abord et enclenche la mise à feu du deuxième étage, qui est l’immunité adaptative. Elles présentent chacune des avantages et des inconvénients majeurs.

L’immunité innée  est en place, prête à intervenir dès les premiers signes d’infection, mais elle le fait avec des moyens génériques, non ciblés et terriblement destructeurs. C’est l’inflammation, qui peut provoquer d’importants dommages collatéraux. Ainsi, dans le cas le cas de covid, les formes graves de la maladie ne sont pas dues aux effets directs du virus, mais à l’inflammation. L’intensité de la réaction inflammatoire est variable selon les individus, ce qui explique que certaines personnes développent des formes sévères et d’autres non. Une forte inflammation au niveau pulmonaire est gravissime et peut aller jusqu’à détruire les fragiles cellules alvéolaires, sièges des échanges gazeux, d’où une issue fatale.

L’immunité adaptative est au contraire bien ciblée. Elle développe, comme son nom l’indique, une réponse adaptée à l’agent infectieux. Elle produit pour cela des anticorps, c’est-à-dire des protéines qui sont en quelque sorte « moulées » sur certaines parties de l’agent infectieux et ainsi le reconnaissent et le neutralisent. Cela prend du temps pour se mettre en place, une quinzaine de jours au moins. Ce délai est plus court en cas de récidive, car le système immunitaire garde la mémoire d’une première attaque, pour produire rapidement des anticorps adaptés en réponse à des attaques répétées du fait d’un même pathogène. Outre le temps, un inconvénient de l’immunité adaptative est la difficulté de s’adapter aux variations du pathogène. C’est particulièrement crucial dans le cas d’une attaque virale, car tout virus mute fréquemment, comme nous le voyons avec le covid.

Les autres organismes ont différents moyens de défense, qui souvent s’apparente à une réaction inflammatoire, y compris chez les plantes. Les bactéries, quant à elles, peuvent détruire d’ADN viral à l’aide de remarquables mécanismes de défense, dont le plus connu est CRISPR-Cas9. Cela consiste à reconnaitre l’ADN que le virus a introduit dans la bactérie, puis le marquer à l’aide d’un ARN guide lequel, comme son nom l’indique, va guider une enzyme dite Cas 9 pour le couper en des points précis. Les bactéries gardent elles aussi la mémoire des attaques successives et pour cela constituent une bibliothèque regroupant un échantillonnage des ADN viraux précédemment rencontrés.

Le système CRISPR-Cas9 a été détourné pour faire un outil d’édition du génome en permettant de modifier à la demande l’ADN de cellules embryonnaires, pour générer des organismes génétiquement modifiés. Il s’agit d’introduire dans la cellule l’enzyme Cas 9 en même temps qu’un guide synthétisé à la demande. Cette méthode permet de réaliser en quelques semaines ce qui prenait des années auparavant. Il serait possible d’intervenir de cette façon chez l’homme pour corriger des défauts génétiques, ce qui est actuellement exclu, bien que cela ait été réalisé au moins dans un cas, au mépris de considérations éthiques.

 

  1. Conso durable et styles de vie engagés. Environnement, éthique, partage, pour vivre mieux (consoglobe.com)
  2. Chez certains virus le matériel génétique est une molécule d’ARN.